lundi 17 novembre 2014

"L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage" d'Haruki Murakami est tout sauf incolore !

Les livres d'Haruki Murakami sont des photographies de la société japonaise. Avec son dernier roman "L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage", paru aux éditions Belfond, l'auteur explore des thèmes très intimes que sont la jalousie, l'amour, la solitude et la renonciation.

"L'incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage" conte l'histoire de cinq amis d'école inséparables (trois garçons et deux filles).

"Pourtant, le hasard avait voulu que Tsukuru Tazaki se distingue légèrement sur un point : son patronyme ne comportait pas de couleur. Les deux garçons s'appelaient Akamatsu - Pin rouge -, Omi - Mer bleue -, et les deux filles, respectivement Shirane - Racine blanche - et Kurono - Champ noir". (page 13)

Livre paru aux éditions Belfond
Alors que quatre de ses amis demeurent à Nagoya, Tsukuru part poursuivre ses études à Tokyo. De retour dans sa ville lors de congés, ses amis lui signifient clairement et sans aucune explication qu'ils ne veulent plus avoir aucun contact avec lui !

"Désolé, mais nous ne voulons plus que tu nous téléphones désormais", déclara Bleu. Aucune formule de politesse préalable. Ni : "Allo, c'est toi ?", ni : "Tu vas bien ?" ni encore "Ca fait longtemps !" "Désolé" fut sa seule marque de civilité.
Tsukuru prit une inspiration et se répéta mentalement les mots de Bleu, tentant de déceler une émotion dans les intonations de son ami...
"Si vous refusez tous que je vous appelle, eh bien, évidemment, je ne le ferai plus", répondit Tsukuru. (Page 40)

Résigné Tsukuru cesse de les rappeler et s'enferme peu à peu dans une solitude qui le ronge et qui le tue. Il continue sa vie et devient architecte ferroviaire.
Et puis Sara entre dans sa vie. Elle va sentir une faille en Tsukuru et va l'aider à aller de l'avant, à affronter ses angoisses pour apprendre à revivre.

"Tu dois regarder ton passé en face comme l'excellent professionnel que tu es à présent, non plus comme un jeune homme naïf et vulnérable. Il ne s'agit pas de voir ce que tu veux voir, mais de voir ce que tu dois voir. Sinon, tu passeras ta vie présente et future à trimballer des bagages trop lourds à porter. Alors, je t'en prie, dis-moi le nom de tes quatre amis. Et je vais chercher où ils se trouvent et ce qu'ils font". (Page 116)

Dès lors, muni des adresses de ces anciens camarades, Tsukuru part à leur recherche pour percer le secret de leur silence. Il retournera dans la ville de sa jeunesse, puis s'envolera pour la Finlande. Au cours de ses investigations et de son pèlerinage, il découvrira des amis bien changés et surtout sera confronté à une nouvelle effroyable... que je vous laisse découvrir.

L'écriture d'Haruki Murakami est le reflet de la société japonaise. Une philosophie qui nous échappe un peu à nous européens. Un peuple qui semble pouvoir traverser les pires tragédies en gardant toujours le contrôle de tout. Le contrôle des émotions, de la parole, des sentiments, des gestes...

Post Fukushima, un documentaire avait été diffusé sur Arte. On suivait le quotidien d'un couple d'agriculteurs resté dans leur ferme contaminée, où l'eau du puits était aussi impropre à la consommation, bien-sûr. Suite à ce drame leur vie était devenue extrêmement difficile (plus de vente de légumes, donc plus de ressources) et précaire d'un point de vue sanitaire (risque élevé de développer des cancers).
(c) 2011 Iván Giménez - Tusquets Editores


Face à une telle situation insoluble, d'autres peuples se seraient révoltés, s'en seraient pris à la direction de la centrale ou au gouvernement. Eux non. Ils étaient (ou semblaient) résignés à subir leur sort sans proférer aucune plainte. Si créatrice, si vivante, si pleine d'énergie et de volonté et à la fois si calme et prête à endosser toutes les tortures. Je trouve cette société nippone tout à fait fascinante !

Haruki Murakami sait toucher droit au coeur, son écriture est simple, dépouillée, sans fioriture, sans excès. Nous terminerons par ce joli passage sur la jalousie.

"La jalousie, du moins telle que Tsukuru l'avait conçue dans son rêve, est la prison la plus désespérée du monde. Parce que c'est la geôle dans laquelle le prisonnier s'enferme lui-même. Personne ne le force à y entrer. Il y pénètre de son pleine gré, verrouille la porte de l'intérieur puis jette la clé de l'autre côté de la grille. Personne ne sait qu'il s'est lui-même emprisonné. Bien entendu, si le captif décidait d'en sortir, il le pourrait. Parce que cette prison se situe dans son coeur. Mais il est incapable de prendre cette décision. Son coeur est aussi solide et dur qu'un mur de pierre. Telle est la véritable nature de la jalousie". (Page 55)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire