dimanche 2 août 2015

Chut on nous écoute... "Le roman de l'espionnage"

Cela faisait longtemps que "Le roman de l'espionnage" de Vladimir Fédorovski dormait paisiblement sur mes étagères. C'était le moment de lui secouer les pages ! On remonte les années, on revient au temps des barbouzes, de la "Belle-Epoque des illégaux", avec la communauté des russes de Paris, Sorge virtuose de l'orchestre rouge, puis un p'tit tour au Caire, Samarkand, les traités, l'affaire Farewell, la perestroïka et la chute du Mur. C'est un bien sombre voyage auquel nous invite Vladimir Fédorovski...

Drôle de vie que celle des espions. Après avoir rendus de bons et loyaux services (valait mieux, sinon c'était l'exécution directe !), les serviteurs soviétiques étaient contraints à changer d'identité.
"Il m'est arrivé autrefois de porter barbe et moustache, convint Dimitri.
Vous n'y êtes pas : vous allez changer de visage. Tout est prêt pour une intervention chirurgicale. Vous verrez, nous faisons des miracles. Dimitri accepta. (Page 59)

Quelques années après il croise une ancienne connaissance...

Sous le masque absurde qu'on lui avait modelé contre son gré, Marie avait retrouvé en trois coups de crayon tout ce dont il était autrefois si fier : les pommettes affaires, les joues creuses, l'arc du nez, et surtout ses yeux. "Tes yeux au moins ne changeront pas", avait pressenti Léna...
"Dimitri, c'est bien toi ?", interrogea Marie dans un murmure, ses grands yeux bleus fouillant derrière le visage inconnu pour y retrouver les traits de l'ami de toujours.
Il acquiesça, incapable de proférer une parole.
Quand enfin il fut à même de parler, assis à ses pieds, sans la regarder, il se livra pendant plus d'une heure. Une confession minutieuse, complété, que Marie écouta, horrifiée. L'aveu d'un agent secret aguerri. (Page 65)
Livre paru au Livre de Poche

Ce livre brasse un grand vent d'histoires et ouvre sur une belle galerie de portraits..

Mikhaïl Koltsov, ami avec Elsa Triolet et Aragon, "correspondant de presse" pas comme les autres devint également le conseiller politique du gouvernement espagnol et son consultant en matière d'aviation. Ernest Hemingway l'introduisait quant à lui sous le pseudonyme de "Karkov" dans son roman "Pour qui sonne le glas". (page 72)

Dans ces affaires d'espionnage, les tragédies tournent souvent à l'opéra bouffe et les drames se griment en opérette. En octobre 1942, le dictateur rouge écrivit  à son ambassadeur à Londres : "A Moscou, nous avons tous l'impression que Churchill vise la défaite de l'URSS POUR POUVOIR PACTISER Avec l'Allemagne de Hitler aux dépens de notre pays". !! (page 104)

Il ne s'agit pas d'un ouvrage précis d'histoire mais bien d'un roman relatant d'une manière très vivante et agréable des faits historiques et faisant découvrir des personnages méconnus.

dimanche 19 juillet 2015

"Academy Street" : la pépite de mon été

Ces derniers temps j'ai beaucoup lu et pourtant peu partagé... Je vais tenter les semaines à venir d'être plus assidue à la tâche et de me ressaisir ! Une amie m'a offert un roman formidable dont on a peu, voire pas du tout, parlé dans les médias : "Academy Street" de Mary Costello aux éditions du Seuil.
Roman paru en 2014 aux éditions du Seuil

L'histoire débute en Irlande dans les années 40. Tess a sept ans lorsque sa mère meurt de la tuberculose. Cette perte va plonger la petite fille dans le silence (elle demeurera des mois sans parler) et fera naître en elle une profonde solitude qui la poursuivra toute sa vie. Adolescente, Tess quitte le domaine familiale d'Easterfield et part à Dublin afin d'y poursuivre des études d'infirmière. Suivant la vague d'immigration, Claire, sa soeur aînée s'exile aux Etats-Unis pour y tenter sa chance. Celle-ci propose à Tess de la rejoindre à New-York. Elle gagne alors la vaste métropole. Tess va se retrouver prise entre le tourbillon des années 60 et sa timidité maladive.
Puis, elle rencontre David, "Elle se rappelait le moindre mot, se sentait tour à tour exaltée et désespérée. Elle n'avait jamais vécu aussi intensément. Le soir, assise devant le miroir de sa coiffeuse, elle le sentait approcher, s'insinuer en elle, distillant en son coeur une angoisse froide et chancelante, et par ricochet une léthargie qui tardait à s'estomper. Le seul remède, ce serait de le voir". (page 89) Tess enceinte se retrouve seule. "Elle restait allongée les yeux ouverts, des traces de sel séché sur les joues. Elle avait entretenu l'espoir à des limites presque intolérables. Il était parti. La félicité, le bonheur étaient partis avec lui et elle se retrouvait livrée à elle-même". (page 99)

Rejetée par son père et ses soeurs englués dans leur morale, Tess élève son fils seule et consacre son temps à ses malades.
"Il y a, chez certains d'entre nous, une solitude fondamentale... elle est en vous".
Elle détourna le regard. Ils restèrent longtemps silencieux. "Vous savez quoi ?" dit-il alors. Il fixait un point au bout du lit. "Je pourrais faire tenir ma vie entière sur une page. Tout écrite sur une seule page." Il se retourna, planta ses yeux dans les siens. "Et je suis stupéfait que ce soit fini et de me trouver là, au bout du compte." (page 126).

"Academy Street" est une pure merveille. C'est un livre envoûtant d'une simplicité et d'une qualité littéraire rares. Exigeants lecteurs comme vous êtes, je suis persuadée que vous l'adorerez.

mercredi 27 mai 2015

Le Dr Frédéric Saldmann, enfin quelqu'un qui nous veut du bien ! (chapitre 1)

Le titre du dernier livre du docteur Frédéric Saldmann, "Prenez votre santé en main !" et sa base- line "Ce livre changera forcément quelque chose dans votre vie", annoncent de suite la couleur ! Il propose de nous livrer les codes pour éviter les faux pas qui nous font perdre des années de vie et donc mourir prématurément... Rien que ça. A priori mon investissement de 19,50 € pourrait se révéler être des plus rentables.

Je ne suis pas une adepte de ce style de littérature mais pourquoi pas ? Gagner quelques années de vie, c'est tentant, non ? La mode est passée par là... Ainsi, tous les médecins qui bénéficient d'une certaine notoriété y vont de leurs bons conseils. Voyons un peu de quoi il retourne.

"Si le tour de taille en centimètres représente 80 % de la taille en hauteur, le risque est de mourir dix-sept ans plus tôt que la moyenne"...  Si vous mangez trop de sucre vous allez choper le cancer du pancréas... Si vous buvez brûlant vous risquez de développer le cancer de l'oesophage (comme les malheureux japonais).
Oh, la, la, je me sens mal, ça commence fort, le docteur Saldman sait filer les chocottes à ses lecteurs ! Nous allons nous accrocher au livre pour savoir comment nous en sortir...

D'un naturel altruiste, je vais partager avec vous, au cours de plusieurs billets, les bons conseils et autres recettes miracles du Dr Saldmann. Le premier chapitre s'intitule "Bien s'alimenter". C'est déjà tout un programme...
L'été arrive... Il est sérieusement temps de penser à se refaire une petite santé. Ressembler a un pachyderme en fin de vie sur la plage ne fait rêver personne et fait surtout fuir tout le monde. Fidèle lecteur, homme et femme, lisez attentivement ces lignes, elles vont vous aider à reconquérir, ou conserver, votre précieux capital santé.

A partir d'aujourd'hui, vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas !

Les astuces pour limiter l'appétit :

Un de vos meilleurs alliés est le "nerf vague". Là, vous regrettez amèrement d'avoir séché vos cours de bio au lycée. L'idée est de stimuler ce petit coquin "qui représente la principale voie de communication entre le tube digestif et le cerveau". (page 16)

Alors, stimulons notre nerf vague ! Si ressembler a un hamster en apnée ne vous effraye pas cet exercice doit (normalement) limiter votre appétit. A répéter avant chaque repas.

Lire paru aux Editions Albin Michel

"La méthode consiste à remplir sa bouche avec un mélange d'eau tiède et de jus de citron en veillant à bien gonfler les joues . Il est important que la langue soit complètement immergée. La bouche pleine doit être maintenue fermée avec les joues bien tendues durant trois minutes. Pendant ce temps vous devez respirer tranquillement et profondément par le nez, le plus lentement possible.
A l'issue des trois minutes, vous pouvez recracher le contenu de votre bouche ou l'avaler... Le résultat est étonnant : la sensation de faim a disparu, pour être remplacée par un sentiment de plénitude". (page 18)
Vous êtes aussi fin prêt pour adhérer à la secte de Richnou :-)

Plus sympathique à présent. "Des travaux scientifiques ont porté sur un geste à la fois simple et efficace. Ils consiste à placer au centre de la table un pot de menthe fraîche. L'odeur qui s'échappe des feuilles entraîne une baisse de l'appétit." (page 27)
Pourquoi pas ? Il y a un petit côté romantique qui ne gâche rien et puis, ça ne mange pas de pain, comme pourrait le dire notre docteur.

Celle-ci va vous plaire... Vous établissez une liste des aliments qui vous font craquer puis vous les laissez vieillir. "Pendant une semaine, laissez votre fameux quatre-quarts rancir, devenir dur, perdre de sa saveur. Sept jours plus tard, dites-vous que vous êtes libre de le manger en entier. Au bout de deux bouchées, vous serez écœuré". (page 30)
Faut-il être médecin pour savoir que manger des aliments pourris passe vite l'envie de manger ?

Parmi les aliments amis :

Laissons nos délicieux gâteaux rances et notre gloubiboulga moisi en paix et concentrons nous sur les aliments qui nous font du bien.

  • En ingurgitant quotidiennement "un café vert par jour, vous pouvez perdre jusqu'à 2,5 kilos en trois mois". Comme nous le rappelle notre bon docteur plein de bon sens "Ce n'est pas une perte vertigineuse, mais les petits ruisseaux font les grandes rivières". (page 49) C'est pas faut.
  • Mangez 8 amandes (ni salées, ni rôties à l'huile) par jour, soit l'équivalent d'une pomme et demie en terme de calories. C'est un excellent régulateur de l'appétit.
  • Foncez à la pêche aux sardines et mangez-en 3 par jour. C'est un coupe-faim naturel  et sans aucun danger. Retirer au préalable l'huile afin d'éviter, à la fois, d'avoir les dents du fond qui baignent, et pour supprimer le mauvais gras. Booouuhhh.
  • J'aime beaucoup quand Frédéric nous confie des secrets, notamment celui de la tarte aux pommes... Il sait comme personne mettre du suspens dans ses énigmes. "Une cuillère à café par jour de cannelle contribuerait à faire baisser le sucre circulant dans le sang". Donc, c'est bien compris : la tarte aux pommes uniquement avec de la cannelle qui, en plus, "retarderait la vidange gastrique". (page 54).
  • Une dernière pour route... "l'ail permettrait de diminuer de 30 % la fréquence des cancers colorectaux et de 50 % celle des cancers de l'estomac. Il exercerait également une fonction protectrice contre les cancers de la prostate et du sein". En bon praticien, notre auteur connait l'effet néfaste de l'ail sur notre haleine, alors il préconise de "passer la soirée uniquement avec des personnes qui ont partagé le même plat !" (page 80)

Le Dr Frédéric Saldmann est un homme prudent. Il use beaucoup du conditionnel, mais en matière de médecine on ne peut pas lui reprocher. Il a une vraie capacité à rendre compréhensible son sujet et sait très bien vulgariser son message. "Prenez votre santé en main !" est un livre très facile à picorer.

Lorsque j'aurai bien digéré le premier chapitre, j'attaquerai le suivant, "Prendre soin de son corps". En attendant, je vous laisse, mon kilo de sardines, ma tarte à la cannelle et ma barrique de café vert m'attendent...

Portez-vous bien !

samedi 16 mai 2015

"Le Blues du braqueur de banque", un livre férocement drôle !

Connaissez-vous Flemming Jensen ? Pour ma part, je n'avais jamais entendu parler de cet auteur Danois (très connu dans son pays parait-il...), avant de tomber sur ce petit livre de poche vert "Le Blues du braqueur de banque", paru aux éditions Actes Sud, collection Babel.
Livre de Poche BABEL n° 1278


Voici un livre férocement drôle et burlesque sur fond de satire politique servi par une intrigue extrêmement bien ficelée ! N'en jetez plus !

Un narrateur tout à fait incompétent dans son art : le braquage de banque, nous conte la mésaventure de Max, spin doctor de son état. Ce dernier a estourbi (notez le mot, il a toute son importance !), à coup de bouteille de whisky Glenfiddich de 30 ans d'âge (faut au moins ça pour une huile...), son vieil et fidèle ami Tom, accessoirement Premier Ministre Danois et employeur de Max. Lors de sa terrible et malencontreuse mésaventure Max rencontre Signe, jeune Scout, éprise d'idéalisme (enfin, jusqu'à un certain point seulement...)
Dans un huis clos drôle et enlevé, Max va tenter de manipuler et de retourner ce témoin décidément très gênant.

Flemming Jensen maintient le cap et entretient les rebondissements jusqu'au bout. La fin est effectivement très inattendue. Je vous laisse la découvrir...

J'ai beaucoup aimé son style et ses dialogues empreints d'humour, de bonne humeur, qui prêtent sans cesse à sourire...

C'était la première fois qu'il assistait à un ballet. "Ces jeunes danseuses de ballet, là, disait-il, elles dansent tout le temps sur la pointe des pieds. Pourquoi n'engage-t-on pas tout simplement des femmes plus grandes ?" (page 88)

Ou encore, lorsque les deux compères cherchent l'endroit idéal où cacher le corps du Premier Ministre, Signe émet une idée lumineuse... "C'est pas bête, Signe , se dépêcha-t-il de dire. Le principe est excellent : un endroit où le fait de rester totalement immobile n'éveille pas l'attention."...
"Le secrétariat de la mairie ! s'écria-t-elle. Il ne s'y passe jamais que dalle, ils restent juste assis !" (page 180)

Si vous avez envie de passer une heure de détente et de dérision, ce livre est pour vous !

dimanche 10 mai 2015

"L'écueil", un roman injustement méconnu d'Edith Wharton

Une montagne de nouveaux livres à lire et c'est sur un très vieil exemplaire de "L'écueil" d'Edith Wharton, que j'ai jeté mon dévolu cette dernière semaine ! Allez savoir pourquoi ?

Les conventions et la rigidité de la haute société sont souvent au centre des oeuvres de cette auteure. "L'écueil" n'échappe à la règle...  et nous entraîne au sein d'une société américaine exilée en France.

Anna Leath, l'héroïne, est une jeune veuve attachée aux valeurs du passé, idéaliste, dotée d'un sens moral très fort et sexuellement refoulée. Elle retrouve après des années d'absence Charles Darrow, qui a lui, un sens un peu plus élastique des conventions !

Anna tergiverse sans cesse, avance, recule, promet, se rétracte... Jusqu'au jour où Charles Darrow, en chemin pour la rencontrer, reçoit un télégramme annonçant : "Obstacle imprévu. Veuillez ne pas venir avant le trente. Anna." Ce message marque le début du livre.
En quittant le train, déçu et déprimé, Charles Darrow rencontre Sophy Viner, une jeune femme délurée et attachante. Ils vont vivre quelques jours ensemble.

Jusqu'au jour où Sophy Viner, alors devenue gouvernante de la fillette d'Anne Leath se retrouve face à face avec Charles Darrow, qui de son côté a renoué des liens avec Anna, qui ignore tout de leur aventure...

La sensibilité d'Anna, ses préjugés, son inaptitude à comprendre la société et l'évolution de ses mœurs l'oppose totalement à Sophy Viner qui incarne tant la spontanéité et l'amour naturel.


Collection 10/18, numéro 2027

Anna apprendra la liaison entre Sophy Vyner et Charles Darrow. Ce dernier tentera de se justifier auprès d'Anna "Elle avait l'excuse de sa solitude, de son malheur, de détresses et d'humiliations qu'une femme telle que vous ne peut pas même soupçonner. Elle avait pour seul passé l'indifférence et la méchanceté, l'inquiétude pour seul lendemain. Elle a vu que j'avais pitié d'elle et elle en a été émue. Elle y a attaché trop d'importance, elle l'a exagérée. J'aurais dû voir le danger, mais je ne l'ai pas fait. Ma conduite est impardonnable". (page 313)


Je vous laisse lire le roman pour savoir ce qu'il advient de nos personnages...

Si vous aimez les romans où les faits et les sentiments sont cachés, où règnent les non-dits et les sous-entendus où la dissimulation tient le premier rôle, vous adorerez "L'écueil".

Ce n'est pas le roman le plus connu d'Edith Wharton, mais il mérite vraiment que vous vous y attardiez...

Il a d'ailleurs fait l'objet d'une très bonne adaptation cinématographique, "Passion's Way", avec Sella Ward et Timothy Dalton. 

samedi 25 avril 2015

La Fête des libraires c'est jusqu'à ce soir !

Affiche du
Centre National du Livre


Une fois n'est pas coutume, je ne vous parlerais pas d'un livre mais d'une manifestation.

La 17ème Fête des libraires se tient aujourd'hui, c'est le moment de pousser les portes de votre librairie de quartier.

Les libraires participants offriront une rose et un album éphéméride collector, animé et dirigé par Frédéric Pajak, des "cahiers dessinés" réalisés avec l'aide de 22 illustrateurs, à tout acheteur d'un livre

Près de 500 librairies françaises, suisses et belges jouent le jeu. Pour voir quels sont les libraires qui célèbrent l'événement près de chez vous, c'est ici et pour "liker" l'opération et avoir toutes les infos c'est là.

samedi 18 avril 2015

"La Couleur du lait", pour les amoureux de BONNE LITTÉRATURE

Encore un petit bijou des éditions Phébus... Premier roman traduit en français de Nell Leyshon, "La Couleur du lait", est un roman étourdissant de simplicité et d'authenticité. Un style épuré faussement inabouti. 170 pages de pur bonheur !

"ceci est mon livre et je l'écris de ma main". nous sommes en l'an de grâce mille huit cent trente et un, j'ai quinze ans et je suis assise à ma fenêtre... je vais vous raconter les choses telles qu'elles sont arrivées mais je ne veux pas me précipiter comme les génisses au portail sinon je vais m'empiéger et de toute manière vous préférez sûrement que je commence par là que les gens commencent en général.

et c'est au commencement".

Sur quatre saisons, Mary nous livre sa courte destinée tragique. Née dans une famille pauvre de fermiers du Dorset, Mary est une bête de somme avant d'être une jeune fille "mon père, tout ce qui veut c'est des bras, j'ai répondu. des bras pour tirer le lait, pour rentrer des récoltes et pour labourer des champs". (pagre 92)

Un été Mary est envoyée chez le pasteur Graham pour servir et tenir compagnie à sa femme souffrante. Intelligente, entêtée et irrévérencieuse, Mary va découvrir les livres et l'écriture. Son destin va basculer à la mort de sa bienfaitrice. Alors que les leçons d'écriture s'enchaîneront, les tourments naîtront aussi et la mèneront implacablement vers son destin.
Livre paru aux éditions Phébus


Cet apprentissage de l'écriture ne lui permettra finalement que de révéler la vérité sur sa condition. Jusqu'au bout Mary décidera de son chemin. Je ne vous en dit pas plus, la chute  est très poignante.

Assurément "La Couleur du lait" comptera parmi les romans que vous n'oublierez pas.

lundi 6 avril 2015

Voyage à bord du Grand Express d'Orient avec Edmond About

Si je gagne au Loto (encore faudrait-il que j'y joue...), je réaliserai deux rêves ! Le premier sera de passer de longs mois à voyager à bord des plus beaux trains du monde, en cabine première classe, bien-entendu. Pas question de se priver du superflu quand on est millionnaire ! Bon, en attendant, j'assouvis ma passion en visitant des expositions, en usant ma souris sur le site d'un opérateur de voyages dédié aux trains mythiques...  et en lisant des livres (activité plus en accord avec mes moyens).

Livre paru dans la collection GEO

Parmi les bons ouvrages, une petite perle à découvrir signée Edmond About"L'Orient-Express", paru aux éditions Magellan et CieC'est un petit livre fantastique, d'une centaine de pages, qui nous convie à un long voyage hors du temps...

Le 4 octobre 1883, le train le plus luxueux du monde quittait Paris pour Constantinople. Promis à une destinée mythique, l'Orient-Express emmenait pour ce voyage inaugural les plus grands journalistes européens. Edmond About, futur académicien et écrivain, raconte avec esprit cette traversée de l'Europe qui le laisse "ébloui et étourdi".

En effet, c'est un périple étourdissant. Le train part de Paris Gare de l'Est, direction Strasbourg, Karlsruhe, Stuttgart, Ulm, Munich, Vienne, Budapest, Bucarest et dépose ses passagers sur les rives du Danube. Faute d'avoir obtenu la concession au-delà, le train stoppe au port de Giurgewo, où un bateau assure la traversée du fleuve jusqu'à Roustchouk en Bulgarie. Ils traversent la mer Noire et débarquent sur le Bosphore au matin. Arrivés à Constantinople, après 3 094 kilomètres parcourus, les voyageurs séjournent au Pera Palace, hôtel de luxe que Georges Nagelmakers, fondateur de la Compagnie des wagons-lits et propriétaire de l'Orient Express, a fait bâtir pour ses invités de marque.

J'ai a-do-ré ce livre ! S'il s'agit bien d'un ouvrage ventant les mille bonheurs que procurent le voyage à bord de ce train, c'est aussi une réflexion sur la géopolitique de l'époque. "Georges Nagelmakers souhaitait que l'Orient Express soit le "Train de l'Europe", celui qui rapprocherait les nations de l'est et de l'ouest de l'Europe. Il oeuvrait ainsi en faveur d'une meilleure communication entre les capitales européennes et le Moyen-Orient." (page 10)

Les idéaux  humanistes de l'ingénieur belge vont être bien mis à mal. Les lignes d'Edmond About écrites en 1883, prédisent déjà le cahot qui va s'abattre sur l'Europe quelques années plus tard. "Les sacrifices que l'Empire ottoman s'est imposés coup sur coup ont laissés les Turcs de la Grèce, de la Serbie, de la Roumanie et de la Bulgarie dans une situation intolérable, qui les contraindra à s'expatrier tôt ou tard. Des malheureux, des innocents expient ainsi douloureusement les violences de leurs ancêtres. Et nous, Français des provinces de l'Est, nous dont le coeur saigne encore des abominations de la conquête, comment resterions-nous insensibles à leurs malheurs ? Notre justice et notre humanité sont mises tous les jours à d'étranges épreuves par cette liquidation européennes qui vient de commencer sous nos yeux..." (page 58)

Imaginez-vous dans votre cabine confortablement installé, traversant la Bavière de Louis II, l'Autriche-Hongrie de François-Joseph, la Serbie d'Alexandre 1er, la Bulgarie de Ferdinand et la Roumanie de Carol 1er avant d'arriver dans la Turquie d'Abdul-Hamid ! Sacrée machine à remonter le temps que ce train, n'est-ce pas ?

Une exposition s'est tenue à l'Institut du Monde Arabe à Paris, au printemps 2014, sur l'Orient-Express. Outre l'exceptionnelle richesse des pièces (mobiliers, documents, témoignages...), un wagon était à visiter sur le parvis. A cette occasion, qui ne se renouvellera pas de si tôt, j'ai pris quelques photos que je partage avec vous...

Table du wagon-restaurant

"Cuisine" du train


Cabine individuelle
Clin d'oeil à Agatha Christie...

En attendant d'embarquer, vous pouvez vous offrir un beau voyage pour la modique somme de 7 € !

samedi 28 mars 2015

"Tu seras un raté, mon fils !"... si seulement on pouvait avoir plus de "ratés" de cette trempe !

Frédéric Ferney signe un très beau livre sur Winston Churchill, "Tu seras un raté, mon fils !" Churchill et son père, paru aux éditions Albin Michel. L'auteur s'est inspiré de son biographe le plus objectif, William Manchester, ainsi que des écrits de Winston, évitant ainsi de nous livrer une énième biographie qui n'aurait nul intérêt.

La richesse du livre réside dans la description du rapport ou plutôt du non rapport existant entre Winston et son père. De cet abandon et de cette ignorance chronique, dont à fait preuve Lord Randolph, naîtra une figure politique majeure du XXème siècle.

Désespéré de ne susciter aucun amour voire le plus petit signe amical chez son père, Winston en est meurtri. "J'ai grandi dans la poche de son gilet, oublié comme un penny." (page 53)

Il persiste et voue pourtant à Lord Randolph une admiration profonde. Que n'aurait-il pas fait pour recueillir une attention, un regard ?

"Lord Randolph ne supporte pas les bons à rien et, à l'en croire, ils sont légion. C'est d'abord un homme public, soucieux de sa carrière et fier de sa lignée, comme sont père, John Winston, le septième duc de Marlborough, qui fut vice-roi d'Irlande. A neuf ans, Winston lit tous les articles qui lui sont consacrés dans les journaux, il apprend ses discours par coeur. Parfois, il voudrait mourir pourvu que son père le sache et qu'il le remarque enfin. Plus tard, il fera tout pour cela, bravant les balles des Boers et des sabres des derviches, dans une attitude de défi perpétuel. Jusqu'à sa mort, Winston sera obsédé par le sentiment d'une faute inhérente et vague. Un manquement impardonné. Une défaillance impardonnable." (page 144)

Livre paru en 2015, chez Albin Michel

Qu'importe ! Si son père l'ignore, il le surpassera ! De ce reniement paternel naît la volonté et la hargne. "Il se sait élu et prédestiné, il se croit invulnérable, même quand il doute de lui-même ou des autres - plus des autres que de lui-même : il veut être ce qu'il est, il est ce qu'il veut être. C'est pourquoi Winston est de la race de ceux qu'on préfère haïr ou adorer - lui-même ne s'étonne pas de ses ressorts et, fidèle à soi, s'en amuse sans s'admirer, s'admire sans s'aimer." (page 36)
Winston  en 1900. Photo Wikipedia


A l'instar de de Gaulle, Churchill est persuadé qu'il a un destin. L'Histoire va le lui offrir sur un plateau d'argent et lui permettre de s'accomplir...

"Churchill expire une longue bouffée de son havane dont les volutes s'estompent dans la nuit d'été. En treize ans, songe-t-il, il s'est élevé presque au sommet de l'Etat. Ah ! si son père pouvait le voir à cet instant ! Look at me, father ! C'est l'heure, c'est son heure, c'est maintenant... Regarde-moi, vieille taupe ! Puisque les Allemands veulent la guerre, on aura la guerre en Europe. Et qui va la conduire, hein ? Qui va la gagner ?... Ton fils, mon cher Papa !" (page 190)

J'ai beaucoup apprécié la plume de Frédéric Ferney qui est vive, alerte et légère. J'ai lu ce livre avec beaucoup de plaisir et de sourires. Parmi ceux-ci : "Si la patte de lapin est un porte-bonheur, expliquez-moi donc ce qui est arrivé au lapin !..." (page 216)

Frédéric Ferney a su mettre en relief un côté méconnu de Winston Churchill, nous permettant de mieux saisir le caractère de ce grand homme, jamais à court d'esprit "... Winston se laisse pousser la moustache. C'est une tentative désespérée. Il se montre très susceptible sur ce point... Une amie de sa mère se permet de lui signifier qu'elle n'apprécie ni sa politique ni sa moustache. Winston lui répond, vexé : "Madame, je ne vois aucune raison sur cette terre pour que vous entriez en contact avec l'une ou l'autre". (page 115)

Un jour Winston confie à son secrétaire "Aujourd'hui, nous sommes le 24 janvier. C'est le jour où mon père est mort. C'est le jour où je mourrai moi aussi." En effet, il ne manqua pas ce rendez-vous, le 24 janvier 1965.

En dépit du temps qui passe et des chemins, les plus glorieux soient-ils, certaines blessures ne se referment jamais.

vendredi 20 mars 2015

Vous voulez connaître (et éviter) le roman nanar 2015 ? C'est ici !

Vous avez certainement entendu parler de "La bibliothèque des coeurs cabossés". Ce foooorrmmmiiiiddddaaablllleeee roman. Tout le monde s'associe pour hisser très haut le roman de Katarina Bivald.
  • Le bandeau de l'éditeur reprenant une citation paru dans le Elle Italie, "Si vous avez aimé Le Cercle littéraire des amateurs d'épluches de patates", VOUS ALLEZ ADORER". Nous n'avons peut-être pas la même traduction...
  • Ce livre a reçu des critiques dithyrambiques de la part de la presse écrite (Elle, Cosmopolitan, Biba...)
  • Il récolte une pluie de 4* sur 10 commentaires clients sur le site Amazon !!

J'ai donc acheté ce livre les yeux fermés. Les bras m'en sont tombés.

Je suis totalement à contre courant ou à côté de la plaque (c'est comme vous voudrez). Selon moi, "La bibliothèque des coeurs cabossés", ne vaut pas tripette ! Avant de vous délester de 21,90 € pour ces 500 pages, aussi insipides qu'indigestes, réfléchissez-y à deux fois...

Le commentaire récurrent que l'on peut lire sur ce livre est : "C'est un roman qui fait du bien". Est-ce qu'un "feelgood book" doit forcément être crétin et niais ? Je ne pense pas. Non. Pour un peu on appellerait "ça", un roman "bienveillant", le grand mot du moment !

Livre paru aux éditions Denöel

L'idée de départ était pourtant bonne (même si éculée).

Sara, une jeune libraire suédoise correspond avec Amy une vieille dame vivant dans l'Iowa. Elles se lient d'amitié. Amy invite Sara à venir passer de longues vacances dans sa ville de Broken Wheel. Lorsque Sara arrive Amy vient d'être enterrée.
La population de la petite ville assoupie prend en charge notre esseulée. Toutes les caricatures sont bien présentes. George, le pauvre type alcoolique largué par sa femme, ignoré par son ado de fille. Caroline l'instit, vieille fille coincée et aigrie qui tombe amoureuse d'un jeune homo, Andy le barman homo... et TOM !!!! Le beau célibataire sur lequel Sara va flasher et avec lequel elle aimerait bien conclure et coucher.
Bon, Sara va ouvrir une librairie avec les livres d'Amy. Son visa de tourisme va expirer, et la communauté convient de marier Tom et Sara afin qu'elle puisse rester dans leur patelin paumé... J'arrête ici le résumé, je suis fatiguée rien que d'y repenser...

Mais, comment peut-on écrire un roman aussi mauvais ? Ni style, ni humour. Rien ! Seulement une fade bluette à l'eau de rose périmée, d'une mièvrerie abyssale. Rien ne sauve ce naufrage.

Je suis affligée et déçue. Un livre doit, selon moi, remplir au moins une de ces trois fonctions :

  • se démarquer par son style littéraire,
  • me transmettre un savoir, m'apprendre quelque chose,
  • me divertir, me transporter...

Quand un livre réunit tout ou partie de ces qualités, c'est une belle rencontre. Lorsqu'il n'en réunit aucune, j'ai la fâcheuse impression d'avoir été bernée...

vendredi 6 mars 2015

Princesse Camcam, j'suis toujours aussi accro !

J'ai quelque peu (mais de très peu) passé l'âge des livres jeunesse. Cependant, j'adore m'attarder dans les rayonnages des albums dédiés aux enfants (et aux grands aussi, si je veux !) L'univers qui me plait le plus est celui de Princesse Camcam.

Depuis plusieurs années, je suis une fan absolue de son travail. Princesse Camcam écrit le texte et réalise les sublimes illustrations elle-même. Un talent vraiment complet ! En 2012, je vous avais déjà présenté deux de ses albums. Je suis fidèle et récidiviste !

Aujourd'hui, focus sur deux livres parus dans une nouvelle collection et dans un nouveau format.

Le premier "Dans un vieux manoir", est une balade pleine de surprises de la cave au grenier : suivez le guide !

Un gros matou prend les choses en mains et décide de faire visiter l'imposante demeure de ses maîtres aux petits chiots de la maison. Le petit groupe commence ses pérégrinations par le salon, la cuisine, la salle à manger, la chambre "du petit humain"... jusqu'au fatal grenier. "Chut, restez bien près de moi... NON ! N'ouvrez pas !" Les chiots ouvrent le coffre où sommeillent... des souris. Le chat tombe à la renverse raide de peur ! Remis de sa frayeur, notre matou se fait des amis et s'installe dans une vieille armoire oubliée, devenue le royaume des rongeurs. Le matou devient un vrai pacha "Oh... comme c'est gentil chez vous ! Si on m'avait dit plus tôt que c'était de charmantes petites souris qui vivaient là... Encore une tartine de croquettes ? Puisque vous insistez..."
Finalement, pas si méprisables que cela les souris !
Album paru aux Editions Autrement


Dans la cuisine du manoir...

et dans la salle de bains.

Livre paru aux Editions Autrement

Le second livre, "Promenade au jardin", est aussi une pure merveille ! C'est une invitation à la rêverie, à une balade dans le parc... d'un vieux manoir.

Là aussi, des surprises à foison, de la mare au potager.

Notre matou pétochard repart avec les chiots pour de nouvelles aventures... "Dans ce vieil arbre habite une bande de ratons-laveurs. Ces animaux sournois ont toujours l'air de préparer un mauvais coup. Maman me disait d'ailleurs de m'en méfier. J'ai bien suivi son conseil et figurez-vous qu'il ne m'est jamais rien arrivé ! Ils déambulent près d'un modeste étang où dorment des grenouilles, "elles sont en outre très mal élevées : sachez en effet, petits chiens, que l'on ne dit pas "côa" mais "comment". Fat et prétentieux notre chat, "Oooooh... Vous n'aviez donc pas oublié mon anniversaire ! Quel nigaud je fais parfois. C'est une statue de moi ? Je suis très touché, merci mille fois mes amis. Mais, dites-moi... Il n'y aurait pas un peu trop de bougies sur ce gâteau ? Enfin ce n'est qu'un détail !... mais tellement attachant. 

La bande de ratons-laveurs...

et la serre des pics-verts

Les albums de Princesse Camcam sont féeriques. Elle nous ouvre un monde de poésie extraordinaire, fait de couleurs intenses et de gaieté et de dessins à croquer. Finesse des traits, délicatesse et précision, on passerait des heures sur chaque planche à scruter les détails, à soulever les caches au-dessus des dessins, à découvrir mille trésors... J'adore les livres de cette auteure qui sont de véritables oeuvres d'art que l'on garde précieusement et qui, l'espace de quelques heures, ont le pouvoir de me faire remonter le temps...

dimanche 1 mars 2015

Elizabeth Goudge pour renouer avec la littérature Victorienne

Il est toujours triste de refermer un livre qu'on a aimé. C'est un peu comme perdre un ami. On sait qu'il était là, qu'on était bien avec lui, qu'un moment passé en sa compagnie était agréable. A présent il va falloir continuer sans lui... "La Colline aux Gentianes" d'Elizabeth Goudge laisse ce goût amer de FIN. Si vous comptez Emily Brontë, Thomas Hardy ou encore Wilkie Collins parmi vos auteurs favoris, vous allez adorer Elizabeth Goudge.

Cette romancière anglaise du XXème, quelque peu méconnue, me semble t-il, écrit dans un pur style Victorien. "La Colline aux Gentianes" est un récit romanesque, religieux et mystique sur fond de guerres napoléoniennes, qui raconte la légende de la chapelle Saint-Michel, à Torquay.

Livre paru aux éditions Phébus, collection Libretto n°266

Construite au XIIIème siècle, elle a subsisté jusqu'à une époque récente. Au début du XIXème siècle, tout bateau jetant l'ancre à Torquay avec un équipage catholique devait y organiser un pèlerinage.

Anthony Louis Marie O'Connell, jeune noble de quinze ans engagé comme midship sur un navire de la marine britannique, déserte pour échapper à la peur et à la dureté de sa condition. C'est sur la colline aux gentianes, butte surmontée d'une chapelle au-dessus du port de Torquay, où les marins se rendent, que le garçon rencontrera Stella âgée de douze ans, fille adoptive d'un couple de fermiers. Stella et Zachary se lient d'amitié. Afin de garder l'anonymat, il lui donne un faux nom. "Comme tous les enfants, elle attachait aux noms une grande importance : le nom de baptême vous met en rapport avec Dieu et le nom patronymique avec votre père. Quand on possède ces deux noms, on a sa place dans le monde et l'on peut marcher en sécurité, bien encadré à droite et à gauche. Si l'on n'en a qu'un, on a subi une sorte d'amputation". (page 68)

Les deux enfants rêvent d'une autre vie et d'autres contrées...
En ces périodes de guerres et de Terreur, les personnages d'Elizabeth Goudge ne cèdent pas à la noirceur. Le docteur Crane est un des personnages central du roman. Il enseigne les sciences, la littérature, la philosophie à Stella qui en dresse un portrait : "Quand il était assis, sa tête massive et ses larges épaules donnaient à croire que sa taille dépassait de beaucoup la moyenne, mais quand il se levait, on s'apercevait qu'il était très petit ; il avait les jambes torses et était un peu bossu. Dans son jeune temps, il avait dû être d'une laideur grotesque, mais, à son âge, ses infirmités même ajoutaient à l'effet qu'il produisait ; elles renforçaient l'expression de grandeur qu'il portait sur son visage et qui exprimait la victoire remportée contre vents et marées". (page 87)

Un physique peu amène complété par, un caractère bien trempé : "Par un singulier paradoxe, le vieux docteur aimait avec une égale passion deux choses opposées : l'idéal et son contraire, la santé parfaite et la pire maladie. Mais quant aux gens prudents, qui s'abstiennent de sauter de peur de tomber, qui ferment leurs fenêtres au vent du large et verrouillent leur esprit, leur coeur et leur bourse contre les timides approches de la vérité et de la pitié, quant aux gens superficiels, papelards et égoïstes, il leur témoignait un mépris si écrasant que bien peu d'entre eux le faisaient appeler deux fois à leur chevet". (page 84)
"La Colline aux Gentianes" est un livre magique et hors du tempsElizabeth Goudge est portée par la Bonté Divine ; elle tutoie les étoiles. Ses scènes sont comparables à des tableaux de maîtres. Elle mêle divinement alchimie, légende, grandeur et nature.

La quatrième de couverture d'un livre est toujours flatteuse mais pas toujours vraie. Ici, il est précisé que "La Colline aux Gentianes" "se situe dans le droit fil des Hauts de Hurlevent". Après lecture, je peux vous assurer que cette comparaison est tout à fait justifiée.
Elizabeth Goudge*

*La photographie est extraite d'un site qui présente une biographie de l'auteure.

jeudi 12 février 2015

Le "Tour du monde des terres françaises oubliées" : Un livre que vous n'oublierez pas !

A la question "Avec quel auteur voudriez-vous passer vos vacances ?" Pour moi, Bruno Fuligni se placerait dans le peloton de tête. Non seulement, c'est un véritable puits de connaissances, mais c'est aussi une très jolie plume assortie d'humour et d'esprit, ce qui ne gâche rien. Bruno Fuligni, c'est l'érudition sans prétention.

Avec son dernier livre "Tour du monde des terres françaises oubliées", il nous embarque dans un voyage où l'histoire se mêle souvent à l'absurde. Bruno Fuligni démontre que l'on peut écrire des livres divertissants et instructifs (sans pour autant être ch...) C'est rassurant.

143 pages d'un vrai délice ! Le "Tour du monde des terres françaises oubliées" est une invitation à découvrir les contrées les plus reculées, sauvages, mystérieuses... Leurs noms évoquent les épices, l'aventure, les rêveries baudelairiennes, le calme, la volupté... Si les grands comptoirs coloniaux Indiens résonnent encore dans nos mémoires, Mahé, Yanaon, Karibal, Pondichéry, Chandernagor, vous ne trouverez pas traces d'autres dépendances aux noms tout aussi enchanteurs : Balassore, Cassimbazar, Mazulipatam, l'aldée de Goorpordha, Kouang-Tcheou Wan... Remerciez-moi, je viens de vous lister quelques lieux sympathiques où passer vos vacances !

Plus sérieusement, cette poussière d'Inde a été administrée par un certain sieur Courjon, nommé "Fermier général des Loges". M. Courjon (qui avait visiblement pris le melon...) préféra se faire appeler, en toute simplicité, "maharadjah". La République fit donc un "grand roi" par décret ! Ce "grand homme", décidément très investi dans son rôle "quitte sa redingote et revêtit une sorte de stambouli soutaché de soie noire ; il remis dans un carton son chapeau à haute forme et entoura sa tête d'un turban jaune et brun, retenu par des épingles d'or. On le rencontra aux Champs-Elysées portant une ombrelle blanche." (page 9)
Livre paru aux (bien nommées) Editions du Trésor


Une dernière pour la route ! Saviez-vous que "chaque 1er août, à zéro heure, l'empire de la loi française s'agrandit de trois mille mètres carrés... conquis sans qu'il en coûte rien, sans effusion de sang. Hélas ! cette annexion exemplaire ne dure que six mois et, le 31 janvier suivant à minuit, le territoire gagné est rétrocédé à l'étranger". C'est pour le moins curieux, mais tout à fait authentique. C'est sur l'île des Faisans, en 1659, que Louis XIV et le roi de Castille se rencontrèrent pour signer le traité des Pyrénées, qui fît de l'île un condominium franco-espagnol. Ainsi, propriété commune des deux états souverains, ce territoire, en indivision perpétuelle entre Paris et Madrid, change d'administration tous les six mois ! (page 38)

Les sept chapitres sont tout aussi truculents et passionnants les uns que les autres. Je vous incite très vivement à céder au chant des sirènes du "Tour du monde des terres françaises oubliées".

Non, ce n'est pas le foulard de ma grand-mère que j'ai mis en vente sur eBay ! Cette carte fait partie intégrale de la couverture. Dépliée, elle présente tous les territoires français oubliés. Voyant tous ces petits drapeaux tricolores répartis sur la planète, on se sent de suite une plus grande nation. ;)


Bruno Fuligni est aussi l'auteur du succulent ouvrage intitulé "La Tortue d'Eschyle et autres morts stupides" déjà chroniqué sur ce blog. (Re)lire le billet ici.

vendredi 6 février 2015

"Le guide du Paris sucré" : un petit goût de reviens-y !

La fin de semaine s'annonce et le repos (bien attendu) aussi. Depuis quelques semaines déjà, plusieurs connaissances me harcèlent (gentiment mais tout de même) pour avoir des bons plans, de bonnes adresses où il fait bon s'asseoir tranquillement avec un livre ou entre amis, où l'on peut s'oublier et prendre son temps...


Très soucieuse de vous voir profiter de ce week-end dans les meilleurs conditions et de répondre (enfin) à mes amis, je vous présente "Le guide du Paris sucré", de Caroline Mignot, paru aux éditions du Chêne.

Pourquoi ce guide plutôt qu'un autre ?

Tout d'abord parce qu'il est récent ! Les chasseurs de nouvelles adresses et autres aficionados de pâtisseries à tomber le savent bien : certains lieux sont à peine ouverts qu'il sont déjà fermés ! Mieux vaut donc avoir un guide trrrrrrrès récent au risque de trouver porte close...

Ensuite, parce qu'il est bien conçu et complet. On y trouve facilement ce que l'on cherche (pâtisseries classiques et créatives, confiseries, glaces, chocolats...) et on repère facilement les adresses correspondantes (liste alphabétique, classement par arrondissements et par régions).
Ensuite, parce qu'il est joliment illustré. Il donne envie de tout dévorer ! La preuve ci-dessous.
Des pâtisseries pour le moins...

alléchantes !


Cependant, je suis un peu restée sur ma faim. En effet, j'aurais aimé que l'auteure dédie un chapitre de son guide aux salons de thé ! Je vais réparer cet impair en vous dévoilant mes deux meilleures adresses à Paris. Elles ont les mêmes points communs :
  • Nul besoin de chausser un cornet acoustique pour entendre les confidences de vos amis.
  • La qualité des produits est irréprochable.
  • On ne vous fera jamais sentir qu'il est temps de déguerpir pour laisser la place à d'autres.
  • Un voyage hors du temps dans un cocon de luxe et de volupté.
  • Une ambiance feutrée sans être guindée. Ni frime ni tape à l'oeil !

Le meilleur brunch et tea time :

Hôtel Le Daniel
Relais et Châteaux situé à deux pas des Champs-Elysées. Un personnel aux petits soins et un décor chaleureux. Le brunch et l'afternoon tea sont divins et les produits excellents. Scones faits maison et thé servi à discrétion. Les pâtisseries sont signées Philippe Conticini. Attention, ça change au fil des saisons. Vous pourrez somnoler dans un fauteuil ou dormir dans un canapé personne ne vous dérangera.
Réservation impérative !

Le meilleur endroit pour boire un thé.
Hôtel Régina.
C'est le dernier palace de la capitale à être encore détenu et dirigé par une famille française. Le bar de l'hôtel Régina est idéalement situé en face du Musée des Arts Décoratifs et du Jardin des Tuileries. C'est un lieu propice à la lecture, calme et spacieux. Après une bonne promenade ou visite aux musées proches, c'est l'endroit rêvé pour se détendre et se réchauffer avec un bon thé et une pâtisserie. Les douceurs viennent, pour le moment, de chez Ladurée, mais seront très bientôt remplacées par des pâtisseries concoctées par le chef pâtissier maison.
Toutes les infos.

Si vous avez aussi de bonnes adresses à partager, n'hésitez pas !

samedi 31 janvier 2015

"Fabergé de la cour du tsar à l'exil", de la naissance à la fin d'une dynastie incroyable

J'aime l'Histoire, j'aime découvrir des personnalités atypiques, j'aime les artistes... Je cherche, je fouine, j'investigue et je trouve plusieurs ouvrages dédiés au bijoutier et joaillier Carl Fabergé. Le premier qui a mes faveurs est intitulé "Fabergé de la cour du tsar à l'exil" de Caroline Charron, paru aux Editions Complicités. En se fiant uniquement au titre, ce livre a tout pour me plaire. Ce fut le cas !

Il ne s'agit pas seulement d'une biographie, très sérieusement documentée, sur Carl Fabergé mais c'est aussi et surtout la folle épopée d'une époque. Celle où les artistes, à l'instar des Compagnons du tour de France, faisaient le tour d'Europe pour apprendre et acquérir les meilleures techniques de leur art. "Fabergé de la cour du tsar à l'exil" retrace le destin inouï de cette illustre famille qui a tant contribué à la création de l'orfèvrerie et de la bijouterie.
La chronologie sert de trame à ce livre qui mêle la petite histoire (celle de trois générations de Fabergé) à la grande Histoire (les destins tragiques des derniers tsars de Russie, la montée des révolutionnaires, la première Guerre Mondiale, la fin de l'autocratie et la révolution).

Protestants, les Fabergé quittent  la France pour échapper à la barbarie. Ils se réfugient en Allemagne puis décident de fonder leur prometteuse entreprise à Saint-Petersbourg.

Le génie créatif de Carl Fabergé ne se limite pas à ses célèbre oeufs. Cependant, ils lui ont permis d'atteindre une notoriété hors des frontières de l'Empire. "Il faut trouver quelque chose de plus original pour la tsarine, lança Carl en regardant Agathon par dessous sa tasse de thé brûlant. Lorsque que j'étais à Paris, j'ai vu ces oeufs sublimes, contenant une surprise... Louis XV et Louis XVI en offraient pour Pâques. Ca m'a rappelé celui qui est à Dresde, au musée Grünes Gewölbe, tu t'en souviens ?" (page 113)

Fabergé est un artiste avant d'être un commerçant. A un journaliste qui l'interroge sur ses concurrents, Carl donne cette réponse qui illustre bien son état d'esprit :
Livre paru aux Editions Complicités

"Si on veut comparer mon travail à celui de maisons comme Tiffany, Boucheron ou Cartier, on trouvera certainement beaucoup plus d'objets précieux chez elles... Elles peuvent certainement proposer un collier à 1,5 million de roubles. Mais ce sont plus des gens de commerce que des artistes bijoutiers. Un objet de valeur ne m'intéresse pas si son prix réside seulement dans l'abondance de perles et de diamants." (page 145)

Portrait de Peter Carl Fabergé

Patron humaniste et attentif, il n'échappera pourtant pas à la folie bolchevique qui s'emparera de toute la Russie, tuant et pillant tout sur son passage.

"Les réunions politiques m'ennuient. Je préfère écouter mes ouvriers sur des questions concrètes auxquelles je peux répondre.
Les ateliers Fabergé qui comptaient plus de deux cents personnes jouissaient d'une extraordinaire paix sociale. Carl Fabergé n'avait pas attendu les revendications de la rue pour accorder ce qu'il estimait être des conditions de travail décentes à ses employés. Si ces derniers travaillent parfois plus de dix heures par jour en période chargée, les heures supplémentaires leur étaient toujours payées, et ils bénéficiaient en outre de salaires au-dessus de la moyenne. Paternaliste, Carl s'occupait également de l'éducation des jeunes, de la santé et de la retraite des anciens qu'il gardait aussi longtemps qu'ils le souhaitaient. La fidélité et l'expérience avaient toujours été valorisées chez Fabergé, et des démissions étaient très rares." (page 164)

La fin n'en sera pas moins impitoyable et cruelle...
"La maison Fabergé n'existe plus ! J'ai dû signer leurs documents, nationalisant l'entreprise fondée par mon père il y a soixante-treize ans". (page 274)

Une fois de plus les Fabergé devront fuir pour survivre. Fuir la Russie qui aura été leur terre d'accueil durant des décennies. Ruinée, meurtrie et disloquée, la famille Fabergé parcourra l'Europe en quête d'un nouvel asile.

Caroline Charron a su savamment équilibrer son récit entre "histoire vraie" et "roman". D'ailleurs, elle précise, en préambule, les noms des personnages avec lesquels elle a pris quelque liberté. Si vous aimez les personnages brillants, les trajectoires cassées, les Arts et la Russie, vous adorerez, comme moi, "Fabergé de la cour du tsar à l'exil".

Pour parfaire vos connaissances sur Fabergé
LE livre référence de l'oeuvre de Fabergé.


Caroline Charron mentionne dans les sources de son livre un ouvrage extraordinaire qui retrace de manière exhaustive toutes les pièces, les designers, les fournisseurs, les clients... de la maison Fabergé. "A comprehensive reference book", paru aux éditions Slatkine, est LE livre référence incontournable.
Livre exclusivement en anglais.


Eh, oui tout ça pour ça...
Dans le Saint-Petersbourg du XXIème siècle, l'argent et la propriété ne sont plus ennemis... Ils font même très bon ménage. Les aristocrates sont morts, leurs palais sont aujourd'hui occupés par de puissants et richissimes oligarques. Si vous avez le bonheur de vous balader le long du canal Fontanka, non loin de l'Ermitage et du café Singer, vous découvrirez le palais Chouvalov qui est devenu le Fabergé Museum. Entièrement rénové, c'est un lieu fastueux croulant sous le marbre et les dorures. Cet écrin, ouvert aux visiteurs, accueille la collection de 1 500 pièces signées Fabergé, appartenant à Viktor Vekselberg.

Musée Fabergé ouvert en juin 2014 à Saint-Petersbourg.

jeudi 22 janvier 2015

C'est le moment de lire "Esprit d'hiver" de Laura Kasischke. Brrrrr, brrrrr, gla, bla !

Un temps à rester chez soi bien au chaud. Un temps à dévorer un polar qui vous fait froid dans le dos. Jetez-vous avidement sur "Esprit d'hiver" de Laura Kasischke vous ne serez pas déçu. "Esprit d'hiver", premier polar que je découvre de cette auteure, remplit parfaitement la triple mission d'être un livre bien écrit, avec une intrigue bien ficelée et une fin qui vous laisse bouche bée. Pas mal, non ?

Le réveillon se prépare chez Holly et Eric, un couple ordinaire d'américains moyens. Tout est apparemment très banal. Eric part à l'aéroport accueillir ses parents. Holly reste à la maison en compagnie de sa fille Tatiana. Mais étrangement ce matin tout va mal. Holly se réveille très en retard. Tatiana est d'une humeur irascible. Le déjeuner de Noël ne sera jamais prêt à temps. Le blizzard se lève et s'installe dangereusement sur la région. C'est dans cette atmosphère pesante et inquiétante à la fois que les souvenirs d'Holly remontent à la surface... L'atavisme familial qui condamne les femmes de sa famille à mourir jeunes. La longue thérapie pour vivre avec ses démons. La passion pour l'écriture et la poésie. L'adoption en Sibérie, 13 ans plus tôt, de sa fille chérie. Des réminiscences vont émerger de plus en plus fortes et claires. Elle s'interroge, persuadée que "Quelque chose les aurait suivis depuis la Russie jusque chez eux ?"

"Il y a autre chose ? avait demandé Eric à Anya, en cette journée de printemps de Sibérie avant qu'ils ne passent la porte de l'orphelinat Pokrovka n°2 pour retourner chez eux avec leur superbe fille. Nous avons juste besoin d'être informés afin de savoir ce dont elle aura besoin. A l'avenir. Vous voyez. Etes-vous au courant d'une quelconque maladie dans l'histoire familiale ? 
Edition Le Livre de Poche n° 33505


Eric et Holly avait remarqué le regard dur qu'une des infirmières avait adressé à Anya quand cette dernière avait répondu dans son anglais énigmatique et étrangement poétique : "La soeur, oui, née pour mourir. Même maladie que la mère." (page 246)

Pas question de vous gâcher l'intrigue en vous en disant plus ! Je peux juste vous confier que la chute est à la fois surprenante et émouvante.

Comme je vous le disais en préambule, "Esprit d'hiver" est un aussi thriller bien écrit. Laura Kasischke cite, entre autres, le poète Hongrois Miklos Radnoti"Nombre de ses poèmes étaient des fragments d'amour destinés à l'épouse de Radnoti et, à l'université, Holly avait appris par coeur la traduction de presque tous ces poèmes, bien qu'elle ne se rappelât aujourd'hui que ces vers : Mais ton image demeure dans ce grand bousculement, au fond de moi lumineuse, et stable éternellement, tel l'ange qui fait silence devant le monde détruit, l'insecte qui fait le mort au creux de l'arbre pourri..." (page 225)

Vous passerez en compagnie de Laura Kasischke et de son "Esprit d'hiver" de délicieuses heures de plaisir livresque.

jeudi 15 janvier 2015

"84, Charing Cross Road" : la déclaration d'amour livresque d'Helene Hanff

Si vous vouez un amour vrai aux livres, "84, Charing Cross Road" ne peut pas vous laisser indifférent. C'est une véritable déclaration d'amour ! L'auteure, Helene Hanff qui vit à New-York adresse, en 1949, une première lettre à Frank Doel, libraire en livres rares, installée à Londres. Elle lui demande sans cesse de dégoter des éditions perdues, des traductions improbables ou même des ouvrages qu'elle pourrait trouver à deux pas de chez elle... Qu'importe ! Cette relation commerciale débutée ne s'arrêtera plus. Leur correspondance va perdurer jusqu'en 1969 et prendre peu a peu la forme d'une intimité intellectuelle.

Vingt années de correspondance ! Mais ça doit être indigeste et soporifique, direz-vous. Tout faut ! Ce livre pourrait, en effet, tourner au drame voire au carnage tant l'exercice est difficile sur la durée. Et puis, n'est pas Madame de Sévigné qui veut... Mais Helene Hanff a un talent unique d'épistolière... et ça change tout ! Alors, ces vingt années de lettres échangées passent comme une lettre à la Poste !

Ce n'est pas pour rien que "84, Charing Cross Road" est un livre culte ! Outre le charme désuet des années 50 et 60 qui transpire, c'est un fabuleux voyage dans la littérature anglaise. Une occasion unique de redécouvrir Izaak Walton, John Henry Newman, Samuel Pepys, John Donne, Jane Austen, Georges Bernard Shaw... Oui, vous avez raison, Helene est une lectrice exigeante !

Helene Hanff est passionnée et insatiable. A propos d'une édition originale de "L'Idée d'université" de Newman, elle écrit : "Oui, je la veux. Je ne pourrai plus me regarder dans une glace. Je ne me suis jamais intéressée aux éditions originales en tant que telles, mais une édition originale de CE livre-là ! Bon sang ! Je le vois déjà". (page 28)
Edition Livre de Poche n°15575


Elle taquine et houspille toujours l'ami-libraire. "Vous me donnez le tournis à m'expédier Leigh Hunt et la Vulgate comme ça, à la vitesse du son ! Vous ne vous êtes probablement pas rendu compte, mais ça fait à peine plus de deux ans que je vous les ai commandés. Si vous continuez à ce rythme-là vous allez attraper une crise cardiaque". (page 58)

Elle est d'une redoutable drôlerie.  "J'espère que vous et Nora avez passé de bonnes vacances. J'ai passé les miennes à Central Park, mon cher petit dentiste, Joey, m'avait accordé un mois de vacances (il était parti en voyage de noces - c'est moi qui ai financé le voyage de noces !). Vous ai-je raconté qu'au printemps dernier il m'a dit qu'il me fallait faire couronner toutes mes dents ou sinon les arracher toutes ? J'ai décidé de les faire couronner parce que j'ai pris l'habitude d'avoir des dents. Seulement ça coûte une somme astronomique. Elisabeth devra donc se passer de moi pour monter sur le trône. Pour les deux ou trois années à venir, les seules couronnes que je verrai seront celles de mes dents". (page 84)


Au fil du temps, va se nouer une amitié, non seulement avec Frank Doel, mais aussi avec tout le personnel de "Marks and Co, libraires". Suite aux nombreux colis de nourriture envoyés durant la période de rationnement, les libraires offriront à Helene un livre rare accompagné d'une dédicace. Celle-ci leur répondra, "J'aurais préféré que vous écriviez la dédicace sur la page de garde et pas sur un bristol par excès de politesse. Mais le libraire a parlé en vous tous : vous avez craint de faire perdre de sa valeur au livre. Cela lui en aurait fait gagner aux yeux de son actuelle propriétaire (et peut-être d'un propriétaire futur. J'adore les dédicaces sur les pages de garde et les notes dans les marges, j'aime ce sentiment de camaraderie qu'on éprouve à tourner les pages que quelqu'un d'autre a déjà tournées, à lire les passages sur lesquels quelqu'un, disparu depuis longtemps, attire mon attention. (page 47)

Helene projette à maintes reprises un voyage à Londres, sans cesse repoussé faute de moyens. La fille d'une amie visite la librairie lors d'un passage dans la capitale et lui en dresse la description :

"C'est la plus ravissante des vieilles boutiques, sortie tout droit de Dickens, tu en serais folle. Il y a des éventaires à l'extérieur, je me suis arrêtée et j'ai feuilleté quelques trucs juste pour avoir l'air d'un amateur de livre avant d'entrer. A l'intérieur, il fait sombre, on sent la boutique avant de la voir et c'est une bonne odeur mais pas facile à décrire - un mélange de renfermé, de poussière et de vieux, de boiseries et de parquet... Il y a des kilomètres de rayonnages. Du plancher au plafond. Ils sont très vieux et presque gris, comme du vieux chêne qui a absorbé tellement de poussière avec les années qu'il n'a plus sa couleur naturelle." (page  50)
Photo: National Library of Australia, Alec Bolton 1969


Petite Bibliothèque Payot n°510

Helene Hanff rêve de la Grande-Bretagne, "Ecrivez-moi je vous en prie, et parlez-moi de Londres, je rêve du jour où je descendrai du train-paquebot et où je poserai le pied sur ses trottoirs crasseux... Un journaliste que je connais, qui était en garnison à Londres pendant la guerre, dit que les touristes viennent en Angleterre avec des idées préconçues, si bien qu'ils trouvent exactement ce qu'ils sont venus chercher. Je lui ai dit que j'aimerais aller à la recherche de l'Angleterre de la littérature anglaise et il m'a répondu : "Elle y est bien". (page 24)

"Après toute une vie d'attente" et grâce au succès de la sortie de son livre en Angleterre, en juin 1971, Helene traverse (enfin) l'Atlantique ! Enchantée et émerveillée par ce pays auquel elle rêve depuis si longtemps, elle doit, devant le 84, Charing Cross Road, admettre douloureusement qu'elle a manqué pourtant le plus important de ses rendez-vous : l'ami-libraire Frank Doel est mort et la librairie Marks and Co. est fermée pour toujours...

Elle racontera son voyage dans "La duchesse de Bloomsbury Street".

J'attends le printemps et promis, je me mets aussi sérieusement au ménage...

"Je fais le ménage de mes livres chaque printemps et je jette ceux que je ne relirai jamais, comme je jette les vieux vêtements que je ne remettrai jamais. Ca choque tout le monde. Mes amis sont soigneux avec les livres. Ils lisent tous les best-sellers, ils les parcourent le plus vite possible, en en sautant beaucoup de passages, je crois. Et comme ils ne les relisent JAMAIS, un an après ils ne se rappellent plus un traître mot. Cependant ils sont profondément choqués de me voir jeter un livre à la corbeille ou le donner à quelqu'un." (page 83)

Helene Hanff est si attachante et extravagante tout en étant généreuse et attentive aux autres qu'il est difficile de se séparer d'elle. La longueur de ce billet en est la preuve...