dimanche 9 mars 2014

Marcelle Sauvageot, une Auteure avec un grand A !

Nous sommes toujours plus enclins à regarder les nouveautés présentées sur les tables des libraires que de parcourir les rayonnages. Grave erreur ! En tendant les bras, en tordant un peu le cou de côté, en pliant les genoux, en se donnant juste un peu de peine, on peut tomber sur de pures merveilles. A la lettre "S" vous auriez le bonheur de tomber sur Marcelle Sauvageot.

Marcelle Sauvageot est une malheureuse écrivaine du début du XXe siècle, décédée à 34 ans de la tuberculose. Elle laisse derrière elle un ouvrage exceptionnel que je vous invite à découvrir. "Laissez-moi" a été publié en 1934 sous le titre de "Commentaire". Ce grand roman méconnu de la littérature française continue a paraître aux Editions  Phébus, dans la collection Libretto.



Ce petit (par la taille) roman de 138 pages est l'oeuvre unique d'une monologuiste d'un rare talent.

Une jeune femme soignée dans un sanatorium reçoit de son fiancé une lettre de rupture. "Je me marie... Notre amitié demeure... Je ne sais pas ce qui s'est passé. Je suis restée tout à fait immobile et la chambre a tourné autour de moi." (Page 29)

Cette lettre donne lieu à une réflexion intense, une analyse sans concession et une méditation profonde sur ses sentiments, sur l'égoïsme... Marcelle Sauvageot incarne le bonheur dans la conscience. "Avoir un petit coin de conscience qui toujours sait ce qui se passe, qui, parce qu'il sait, permet à tout l'être intellectuel et raisonnable d'avoir aussi à chaque seconde quelque chose du bonheur qui arrive." (Page 110)

Parmi les nombreux mémorables passages, on peut retenir ceux-ci :

"Savez-vous ce que c'est que l'amitié ? Croyez-vous que ce soit un sentiment plus tiède qui se contente des restes et des menus services que l'on ne peut éviter de se rendre ? L'amitié, je crois que c'est de l'amour plus fort et plus exclusif... mais mon "tapageur". L'amitié connais la jalousie, l'attente, le désir..." (Page 34)

"Je trouve très jolie cette idée de la pré-existence d'une union. Une légende japonaise, je crois, prétend qu'à la naissance la lune attache par un ruban rouge le pied d'un futur homme au pied d'une future femme. Pendant la vie le ruban est invisible, mais les deux êtres se cherchent et, s'ils se trouvent, le bonheur pour eux est sur terre. Il en est qui ne se trouvent pas ; alors leur vie est inquiète et ils meurent tristes : pour eux le bonheur commencera seulement dans l'autre monde : ils verront que le ruban rouge les attache"... "Celui pour qui l'on est fait, n'est-ce pas celui pour qui l'on accepte d'être fait ? Celui-là, pour moi, eût pu être vous." (Page 62)

"Ce n'est pas moi qui me marie ; en moi, il y a votre image qui occupe toute la place ; pour que je ne souffre plus, il faut que vous partiez afin qu'un jour votre nom prononcé devant moi passe comme un souffle sans plus rien effleurer. Je veux cet effacement, car j'ai besoin de paix ; vous, vous avez le bonheur ; un peu d'amour de moi ne vous apporterait rien." (Page 84)

"Si j'arrivais à vous faire sentir cette misère, vous vous hâteriez de l'oublier ; et pour vous rassurer, vous diriez ce que tout homme bien portant dit des lieux où l'on souffre : ce n'est pas si terrible qu'on le dit. Je ne vous dirai rien. Mais laissez-moi souffrir, laissez-moi guérir, laissez-moi seule..." (Page 88).

Laissez-vous toucher par Marcelle Sauvageot, vous ne le regretterez pas.

Format poche ou numérique, faites-votre choix !

samedi 1 mars 2014

"Le doux parfum du scandale" : attendez gentiment la version poche

La quatrième de couverture semblait bien alléchante (comme toujours, me direz-vous...). Voyez un peu : "Comédie satirique pleine d'esprit, un roman remarquable de construction et de psychologie, qui dresse le portrait vitriolé d'une certaine presse, où les sujets de fond ont laissé place aux scandales et aux ragots".

"Le doux parfum du scandale" d'Annalena McAfee, paru aux éditions Belfond, nous entraîne dans deux univers : celui du grand reportage et celui de la presse people.


D'un côté Honor Tait, quatre-vingt ans, la Marlene Dietrich du grand reportage qui, de l'Allemagne nazie aux tranchées coréennes, a couvert tous les fronts et flirté avec les grands de ce monde.

De l'autre, Tamara Sim, vingt-sept ans, pigiste "Mode et Potins" pour un tabloïd, une assurance et une ambition peu communes, déterminée à se faire un nom dans ce monde de requins.

Donc deux femmes que tout oppose et qui n'auraient jamais dû se rencontrer, n'étaient les curieux hasards de la providence : la très chic revue S*nday veut une interview de Honor, et c'est à la moins qualifiée des journalistes qu'échoit cette mission délicate.

Entre la ferme volonté de Honor de protéger ses sulfureux secrets et le besoin vital de Tamara de ramener LE scoop qui lancera sa carrière, la confrontation va devenir explosive.

"Sulfureux secrets", "confrontation explosive"... Voilà qui promet de bien belles heures en perspective à passer à dévorer ces quelques 490 pages (tout de même...)

En fait de "sulfureux secrets", la jeune chercheuse de scoops pense révéler au public la liaison sulfureuse de la vieille dame avec son toy boy. Un peu plat le scoop, il s'avère que le jeune homme affriolant est son... fils ! Il n'y a dans leur relation ni ambiguïté ni inceste. Flop, le sensationnel tombe à l'eau !

Pour ce qui est de la "confrontation explosive", ce n'est guère mieux. Dés les premières pages nous tombons dans la caricature. Tamara, pigiste pour la presse people est "forcément" béotienne. Parmi les exemples savoureux :

Honor se pencha vers elle (Tamara), comme si elle s'apprêtait à lui faire une confidence.
"Sage précaution, dit-elle. Quelle catastrophe si jamais un de vos papiers venait à s'égarer avant d'atteindre votre lectorat. On n'aurait rien connu de tel depuis la bibliothèque d'Alexandrie".
Tamara se sentit en butte à son hostilité mais, comme elle ne voyait pas à quoi elle se référait, elle lui sourit..."
"Oui. Sans doute", répondit-elle avec un petit rire, afin de montrer qu'elle avait compris mais qu'elle n'était pas vexée.
Sur son bloc-notes, elle nota : "Vérif : Qui est Alexandrie ? Qu'est-il arrivé à sa bibliothèque ?"
(Page 84)

Du grand art, non ? Je ne résiste à partager la suivante avec vous, lue page 160 :

Tania (figure montante du journal et responsable de la version online) écrivait un journal de bord pour le site Internet. Simon l'avait lu. "Une perte de temps, avait-il décrété. Je ne comprends pas pourquoi elle se donne tant de mal pour ça. L'Internet, c'est un truc de losers." La semaine précédente, Tania avait proposé une "réévaluation de Lévi-Strauss" - non pas, comme l'avait supposé Tamara, une réflexion sur la disparition des blue-jeans de la garde-robe des jeunes branchés mais un essai longuet sur le fondateur de l'anthropologie structurale".

Selon l'auteure, le communisme a une vertu qui nous était jusqu'alors restée cachée...

"Les célébrités et la cellulite", tel était le thème. Tamara passa une matinée tranquille à piocher dans le magot de clichés glamour de la photothèque...
"En fait, ce n'est pas un sujet seulement amusant, cela a des connotations sociales profondes".
"Ah ouais ? Tu peux m'en dire un peu plus, s'il te plait ?"
"Je te parle sérieusement. En montrant que même les stars les plus glamour, sans Photoshop, ont des défauts, on rassure les femmes ordinaires. Ca impose un nivellement entre nous toutes, un peu comme le communisme".

Je pense que Marx doit se retourner dans sa tombe !

Petit conseil du jour : si toutefois il vous prenait l'envie de lire "Le doux parfum du scandale", soyez plus patient que moi et attendez qu'il paraisse au format poche plutôt que de vous délester de 22 €.