lundi 14 avril 2014

Un inoubliable héros poilu à 4 pattes...

"Le collier rouge" est le dernier roman de Jean-Christophe Rufin, paru aux éditions Gallimard. L'auteur signe là un vrai petit bijoux qui se dévore d'une traite. Je retrouve avec plaisir la patte de Rufin : un style toujours impeccable et une érudition présente sans être ostentatoire. Nul besoin d'en faire des "tartines" ! La simplicité et l'élégance...




Ce roman prend racine en 1919, dans le Berry profond. Jacques Morlac, héros de la Grande Guerre est l'unique prisonnier d'une caserne. Hugues Lantier du Grez, chef d'escadron et juge militaire vient l'auditionner. A son arrivée, le juge découvre un chien qui aboie jour et nuit...

Cette histoire est bâtie autour d'un triptyque : un gradé aux principes qui vacillent, un soldat qui a découvert les horreurs de la guerre et est devenu un héros et une femme usée par le travail de la terre et la solitude. Pour venir souder ces trois personnages, il y a un chien : Guillaume. C'est, à mon sens, la pierre angulaire de ce roman. C'est sur la faible échine de Guillaume que repose la clé du drame.

Guillaume est un chien et il porte les stigmates des années de guerre vécues au coté de son maître. Il est touchant dans sa fidélité, son dévouement, son humanité.

"Quand le chien eut terminé de s'abreuver, le juge s'assit sur un banc près de la fontaine, dans la même ombre. Il se demandait si Guillaume allait revenir sur la place et reprendre ses aboiements. Mais, au contraire, il resta posté devant le banc, les yeux fixés sur l'officier.

De près, l'animal faisait peine à voir. Il avait vraiment l'allure d'un vieux guerrier. Plusieurs cicatrices, sur le dos et les flancs, témoignaient des blessures par balles ou éclats d'obus. On sentait qu'elles n'avaient pas été soignées et que les chairs s'étaient débrouillées pour se rejoindre tant bien que mal, en formant des bourrelets, des plaques dures et des cals. Il avait une patte arrière déformée et, quand il se tenait assis, il devait la poser en oblique, pour en pas tomber sur le côté. Lantier tendit la main et le chien s'approcha pour recevoir une caresse. Son crâne était irrégulier au toucher, comme s'il avait porté un casque cabossé. Le bord droit de son museau était rose clair et dépourvu de poils, séquelle d'une brûlure profonde. Mais au milieu de ce visage supplicié brillaient deux yeux pathétiques. Guillaume, sous la caresse, ne bougeait pas. On sentait qu'il avait été dressé à ne pas s'agiter, à faire le moins de bruit possible, sauf pour donner l'alerte. Mais ses yeux à eux seuls exprimaient tout ce que les autres chiens manifestent en usant de leur queue et de leurs pattes, en gémissant ou en se roulant par terre." Page 64

En dépit de son côté très "humain", Guillaume n'en est pas moins un animal qui réagit comme un animal, à l'instinct et avec fidélité. En agissant comme tel, Guillaume va déclencher un drame qui est la clé de ce livre et qui va bouleverser la vie de Morlac...

"C'était lui, le héros. C'est ça que j'ai pensé, voyez-vous. Pas seulement parce qu'il m'avait suivi au front et qu'il avait été blessé. Non, c'était plus profond, plus radical. Il avait toutes les qualités qu'on attendait d'un soldat. Il était loyal jusqu'à la mort, courageux, sans pitié envers les ennemis. Pour lui, le monde était fait de bons et de méchants. Il y avait un mot pour dire ça : il n'avait aucune humanité. Bien sûr, c'était un chien... Mais nous qui n'étions pas des chiens, on nous demandait la même chose. Les distinctions, médailles, citations, avancements, tout cela était fait pour récompenser des actes de bêtes." Pages 121

De plus, de roman est un très bel hommage que rend Jean-Christophe Rufin, au photographe Benoît Gysembergh avec lequel il a couvert des reportages en Jordanie. En effet, au cours de leur pérégrination, le photographe lui a confié une anecdote de son grand-père revenu héros de la Grande Guerre, décoré de la Légion d'Honneur. Il n'en fallait pas plus pour que germe dans l'esprit de ce romancier cet édifice romanesque.

S'il est un livre à côté duquel il n'est pas permis de faire l'impasse c'est bien "Le collier rouge" !

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