samedi 28 mars 2015

"Tu seras un raté, mon fils !"... si seulement on pouvait avoir plus de "ratés" de cette trempe !

Frédéric Ferney signe un très beau livre sur Winston Churchill, "Tu seras un raté, mon fils !" Churchill et son père, paru aux éditions Albin Michel. L'auteur s'est inspiré de son biographe le plus objectif, William Manchester, ainsi que des écrits de Winston, évitant ainsi de nous livrer une énième biographie qui n'aurait nul intérêt.

La richesse du livre réside dans la description du rapport ou plutôt du non rapport existant entre Winston et son père. De cet abandon et de cette ignorance chronique, dont à fait preuve Lord Randolph, naîtra une figure politique majeure du XXème siècle.

Désespéré de ne susciter aucun amour voire le plus petit signe amical chez son père, Winston en est meurtri. "J'ai grandi dans la poche de son gilet, oublié comme un penny." (page 53)

Il persiste et voue pourtant à Lord Randolph une admiration profonde. Que n'aurait-il pas fait pour recueillir une attention, un regard ?

"Lord Randolph ne supporte pas les bons à rien et, à l'en croire, ils sont légion. C'est d'abord un homme public, soucieux de sa carrière et fier de sa lignée, comme sont père, John Winston, le septième duc de Marlborough, qui fut vice-roi d'Irlande. A neuf ans, Winston lit tous les articles qui lui sont consacrés dans les journaux, il apprend ses discours par coeur. Parfois, il voudrait mourir pourvu que son père le sache et qu'il le remarque enfin. Plus tard, il fera tout pour cela, bravant les balles des Boers et des sabres des derviches, dans une attitude de défi perpétuel. Jusqu'à sa mort, Winston sera obsédé par le sentiment d'une faute inhérente et vague. Un manquement impardonné. Une défaillance impardonnable." (page 144)

Livre paru en 2015, chez Albin Michel

Qu'importe ! Si son père l'ignore, il le surpassera ! De ce reniement paternel naît la volonté et la hargne. "Il se sait élu et prédestiné, il se croit invulnérable, même quand il doute de lui-même ou des autres - plus des autres que de lui-même : il veut être ce qu'il est, il est ce qu'il veut être. C'est pourquoi Winston est de la race de ceux qu'on préfère haïr ou adorer - lui-même ne s'étonne pas de ses ressorts et, fidèle à soi, s'en amuse sans s'admirer, s'admire sans s'aimer." (page 36)
Winston  en 1900. Photo Wikipedia


A l'instar de de Gaulle, Churchill est persuadé qu'il a un destin. L'Histoire va le lui offrir sur un plateau d'argent et lui permettre de s'accomplir...

"Churchill expire une longue bouffée de son havane dont les volutes s'estompent dans la nuit d'été. En treize ans, songe-t-il, il s'est élevé presque au sommet de l'Etat. Ah ! si son père pouvait le voir à cet instant ! Look at me, father ! C'est l'heure, c'est son heure, c'est maintenant... Regarde-moi, vieille taupe ! Puisque les Allemands veulent la guerre, on aura la guerre en Europe. Et qui va la conduire, hein ? Qui va la gagner ?... Ton fils, mon cher Papa !" (page 190)

J'ai beaucoup apprécié la plume de Frédéric Ferney qui est vive, alerte et légère. J'ai lu ce livre avec beaucoup de plaisir et de sourires. Parmi ceux-ci : "Si la patte de lapin est un porte-bonheur, expliquez-moi donc ce qui est arrivé au lapin !..." (page 216)

Frédéric Ferney a su mettre en relief un côté méconnu de Winston Churchill, nous permettant de mieux saisir le caractère de ce grand homme, jamais à court d'esprit "... Winston se laisse pousser la moustache. C'est une tentative désespérée. Il se montre très susceptible sur ce point... Une amie de sa mère se permet de lui signifier qu'elle n'apprécie ni sa politique ni sa moustache. Winston lui répond, vexé : "Madame, je ne vois aucune raison sur cette terre pour que vous entriez en contact avec l'une ou l'autre". (page 115)

Un jour Winston confie à son secrétaire "Aujourd'hui, nous sommes le 24 janvier. C'est le jour où mon père est mort. C'est le jour où je mourrai moi aussi." En effet, il ne manqua pas ce rendez-vous, le 24 janvier 1965.

En dépit du temps qui passe et des chemins, les plus glorieux soient-ils, certaines blessures ne se referment jamais.

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