dimanche 28 décembre 2014

Miroslav Sekulic-Struja, un auteur de BD fantastique à découvrir

Par hasard, mais alors vraiment par hasard, j'ai ouvert l'album "PELOTE dans la fumée" de Miroslav Sekulic-Struja. Je ne sais pas par quelle force j'ai été amenée à saisir et regarder cette BD ! Une couverture sombre, des personnages aux faciès patibulaires et grossiers, un auteur totalement inconnu (en tout cas pour moi), rien d'engageant... à première vue. ET POURTANT ! Dès l'ouverture de l'album, dès les premières pages feuilletées, BOUM ! LE CHOC ! Les couleurs, les détails, les regards, les expressions, tout le talent de l'auteur vous éclabousse... à première vue.

Installée tranquillement, je me délecte et dévore ma fabuleuse découverte. "PELOTE dans la fumée" est le premier album d'un diptyque. L'été et l'automne sont les saisons de ce tome. Elles suivent la vie d'un orphelinat durant la guerre en ex-Yougoslavie. L'abandon, la brutalité, la crasse, les larcins, la camaraderie, les gangs et les bagarres.

Couverture de l'album "Pelote dans la fumée" tome 1

Le personnage central, Ibro, dit Pelote est un adolescent issu des bidonvilles, qui passe ses journées à inhaler de la colle pour oublier sa triste vie sans avenir. Son père quitte la maison.
Le père s'enfermait de plus en plus dans son bureau, où il s'arrachait les cheveux. Puis un jour... "Je reviens tout de suite. J'ai juste une course à faire"... Puis il remit sa casquette en place posa un baiser sur le front de Pelote et empoigna sa valise.

Le père parti, la mère de Pelote se retrouve seule avec ses deux enfants restants. Leur taudis qui faisait office de maison, s'écroule les laissant à la rue. "Il n'y a pas si longtemps, ils étaient six dans cette baraque. Ils n'avaient qu'un seul lit déglingué... Mais, comme par miracle, ils savaient tous s'y serrer comme des souris." 
Et les rêves ? Les rêves entraient alors par les fenêtres aux carreaux cassés, accompagnés du clair de la lune et de l'odeur des pains de la boulangerie voisine et se mettaient à tournoyer autour de leurs têtes et le grognement de leurs ventres ne partait qu'avec les premières sirènes des bateaux du matin". Pelote et sa soeur, surnommée Sandale, trouvent refuge dans un orphelinat et c'est une nouvelle "vie" qui commence...

Les dessins sont fantastiques ! Non, "PELOTE dans la fumée", n'est pas une BD noire ! Les couleurs éclatantes sont présentes tout au long de l'album. Miroslav Sekulic-Struja apporte une attention très pointue aux détails. J'aime sa manière de composer de grandes planches sur deux pages. Ses dessins sont de véritables fresques sur lesquelles on passe des heures, sans lassitude, à décrypter les particularités infinies. Sur la page suivante (illustration à droite ci-dessous), on découvre en gros plan les détails non perceptibles sur la page précédente.

Page de droite d'une double page.

Focus sur les détails de la page précédente.


Rien que pour le plaisir des yeux, deux planches de plus !



Pardon pour la médiocrité des photos, elles ne rendent vraiment pas hommage au talent de l'auteur. mais elles contribuent au moins à mettre son travail en lumière.

Mais au fait qui est-il ? Qui est Miroslav Sekulic-Struja ? J'ai cherché à savoir, j'ai enquêté et n'ai... pas trouvé grand chose. Un site Web du dessinateur existe... en Croate. Pour ce qui est du site de l'éditeur Actes Sud c'est un excellent modèle d'anti-professionnalisme ! Figurez-vous qu'en faisant une recherche patronymique sur l'auteur, la requête affiche "pas de résultats" ! Ainsi, Miroslav Sekulic-Struja, n'est même pas référencé sur le site de son éditeur ! Alors, pour une fiche de présentation on repassera (ou pas). Les éditeurs font du "papier" pas du "Web" me direz-vous...

Alors, le mieux est de vous précipiter chez votre libraire préféré, à la bibliothèque de votre quartier, ou encore sur Amazon. Après vérification, la BD y est bien référencée avec une présentation de l'auteur de surcroît !
Merci qui ?

jeudi 18 décembre 2014

"13 à table !", le livre au profit des Restos du Coeur. Remplissez-en la hotte du Père Noël !

"13 à table !" est la très heureuse initiative de la fin d'année du monde de l'édition. Ce sont 13 nouvelles écrites par des auteurs français, parmi lesquels Maxime Chattam, Gilles Legardinier, Marc LevyGuillaume Musso, Tatiana de Rosnay, Franck ThilliezBernard Werber, etc. Pour chaque livre acheté 5 euros, 3 repas seront distribués dans les centres d'accueil des Restaurants du Coeur.

Ces 13 nouvelles se picorent, se dégustent voire se dévorent ! Il y a les bons élèves qui respectent scrupuleusement la consigne qui était de composer une histoire courte autour d'un thème commun  : le repas. Puis, il y a les autres. Ceux qui font un peu ce qu'ils veulent, qui sont un peu hors sujet... Qu'importe ! Leur participation est là, et c'est bien l'essentiel !

Plusieurs nouvelles sont excellentes. Cependant, j'en ai plus particulièrement apprécié deux.

J'ai adoré "La part de Reine", le texte pétri d'humanité et d'intelligence d'Eric-Emmanuel Schmitt. Clovis le clochard, après avoir supporté des semaines durant lesquelles la charité se faisait plus rare, se confie sur l'attitude de sa chienne Reine.
" - Alors tu vois, mon garçon, je me suis aperçu qu'un être humain aurait été incapable d'une telle douceur. Un homme aurait protesté, un homme m'aurait attaqué, un homme m'aurait volé. Pas elle. Dans ses yeux marron, il y avait le malheur d'avoir faim mais ni haine, ni désaveu, toujours ce même amour, cette absolue fidélité. Et ce n'est qu'une chienne, disais-tu ?" (page 227)

A croquer aussi, "Une initiative" de Pierre Lemaitre, très drôle et touchante. Voilà un vieil homme veuf, de 81 ans, en pleine forme vivant seul qui, pris dans le feu de l'action, raccroche son téléphone après avoir invité 6 convives ! Une fois l'euphorie retombée, il réalise sa bourde et se demande bien comment il va pouvoir organiser un tel banquet. L'apéritif, l'entrée, le plat, le fromage, le dessert, les vins... Le voilà pris !
A acheter dans toutes les bonnes librairies pour 5 euros.


Pas encore tout à fait convaincu ? Je peux vous donner 3 bonnes raisons supplémentaires d'acheter, de lire et/ou d'offrir "13 à table !"
  • Imaginez que vous soyez nommé Ministre de la Culture de l'une des toutes premières puissances mondiales. Si vous ne voulez pas passer pour un incompétent doublé d'un inculte, vous devez absolument lire les auteurs les plus médiatiques. Malheureux ! Ne comptez pas sur votre Directeur de Cabinet, il se pourrait fort bien qu'il soit aussi ignare que vous. Je divague, je divague...
  • C'est le cadeau idoine à offrir si vous êtes un peu grippe-sou ! Notez bien que pour un investissement très modique de 5 euros vous passerez pour un ami généreux voire le philanthrope du siècle (bon, limitons nous à la décennie). 
  • Pour lire et découvrir des auteurs apparemment très connus pour les autres et très méconnus pour vous ! J'avoue avec une honnête honte que pour ma part je n'avais jamais rien lu d'Agnès Ledig, de Françoise Bourdin ou encore d'Alexandra Lapierre. Je ne savais d'ailleurs pas plus que Jean-Marie Périer écrivait... Oups. Oh, la, la, mais je réalise subitement que tous les espoirs me sont permis : je pourrais être nommée Ministre de la Culture !
Trêve de plaisanterie. Ceci est une affaire sérieuse. N'attendez pas d'avoir une ou des bonne(s) raison(s) pour améliorer la vie des gens autour de vous, achetez "13 à table !"

Cliquez ici pour en savoir plus sur les nombreuses actions menées par les Restaurants du Coeur.

jeudi 11 décembre 2014

"Agatha Doyle au service de sa Majesté", une petite qui va faire parler d'elle...

Trop jeune pour lire le "Chien des Baskerville" ou "Le crime de l'Orient-Express" ? Patientez en lisant "Agatha Doyle au service de sa Majesté" de Caroline Triaureau, paru chez Naïve livres.

Ici, ce ne sont pas les Quat'zamis mais les trois ! Trois amis inséparables. Tout d'abord Agatha Doyle, "Longue ficelle blonde aux joues tachées de rousseur... débordante de joie de vivre, toujours fourrée dans les coups fumants" (page 14). Puis Hercule, "Lui, le petit gros au flegme plutôt britannique, était bien loin des images musclées et "haltérophilisées", comme il se plaisait à le dire, du héros grec". (page 14) Et enfin, Sherlock, "Sherlock était le sportif du trio ; fin et élancé, il possédait un don pour la course, l'uppercut droit et le déguisement". (page 15) Les présentations faites, entrons dans le vif du sujet...

"Agatha Doyle" est paru chez Naïve Livres

Notre trio part en voyage de classe à Londres. Sévèrement chaperonnés par leur professeure d'anglais la bien nommée Miss Marple, alias la "vieille bique", les trois compères vont se retrouver au centre de l'horrible vol du Traité d'indépendance de l'Irlande. "Pendant que leur professeure adorée les emmenait vers Vincent Square, quelques rues derrière Westminster Abbey, ils réfléchissaient. Les relations entre la Grande-Bretagne et l'Irlande avaient toujours été très tendues. La crise financière et économique frappant l'Irlande de plein fouet depuis 2008 fragilisait leurs relations politiques et diplomatiques. D'où l'importance d'honorer le traité de Londres en l'exposant en un lieu emblématique, et en célébrant sa quatre-vingt-onzième année. Son vol risquait de raviver les tensions voire provoquer une nouvelle course au pouvoir". (page 64) Les trois amis, aidés d'un prince de la famille royale, vont déjouer les vils desseins d'un irlandais rancunier.
- Vous m'avez démasqué, jeune homme, s'inclina * Il vous reste à savoir pourquoi... Pourquoi ?
Comme il se doit, Agatha, Sherlock et Hercule ne manqueront pas de serrer la paluche de la Reine en remerciement des bons et loyaux services rendus à la Couronne...
* je ne vais tout de même pas vous livrer son nom !

J'ai apprécié "Agatha Doyle au service de la Majesté", pour plusieurs raisons :
  • Pour le bon équilibre entre intrigue policière et grande Histoire. Ainsi, les jeunes lecteurs peuvent à la fois se distraire et découvrir des aspects historiques méconnus d'une manière plaisante.
  • C'est aussi une façon d'initier le jeune public aux livres des fameux Arthur Conan Doyle et Agatha Christie.
  • La fin du livre réserve quelques pages consacrées à une "Petite visite guidée de Londres" et une brève histoire qui relate la domination de l'Angleterre sur toute l'île en 1494, jusqu'à l'indépendante de l'Irlande en 1949. Un résumé synthétique très bien fait.
  • Le livre est illustré avec des plans de la ville et de l'Abbaye de Westminster qui permettent de se repérer dans l'intrigue.
  • Le texte est truffé d'expressions anglaises usuelles. Bon, on oubliera en vitesse le sempiternel "My God de merde !" d'Agatha...

D'ailleurs, j'imaginerais très bien une série "Agatha Doyle"...

Ce n'est pas encore tout à fait Noël mais le Père Noël est déjà au travail... Si ce billet vous a plu et que vous connaissez un enfant à qui ce livre plairait, adressez-moi un email, je vous l'offrirai avec plaisir.

samedi 6 décembre 2014

Vous avez dit Kamishibaï ? Quésaco ? Les "Comptines du pousse-pousse" dévoilent tout !

Le Salon du Livre de la Jeunesse de Montreuil est souvent l'occasion de découvrir des activités méconnues voire inconnues autour du livre, de s'informer sur les nouveautés, de faire de belles rencontres (normal puisque les gens qui y déambulent sont des aficionados purs et durs !)...

Cette année encore ma journée a été très riche... Parmi les agréables surprises du jour, mon entrevue avec Hélène Bazin des "Comptines du pousse-pousse". Hélène est une charmante et talentueuse artiste qui propose des lectures de contes pour les enfants de 2 à 5 ans. Jusqu'ici vous vous dites "Bon d'accord, c'est bien gentil mais c'est pas nouveau !" Eh, bien détrompez-vous ! Hélène réinvente la lecture du conte en utilisant une technique japonaise ancestrale : le Kamishibaï. Vous faites moins les malins d'un coup ! Ma conteuse a eu la gentillesse de bien vouloir se prêter au jeu des questions/réponses pour éclairer mon ignorance. Portrait.

Votre discipline est des plus mystérieuses ! Qu'est-ce que le Kamishibaï ?
Le Kamishibaï est une lointaine technique japonaise pour conter basée sur des images défilant au milieu d'un petit castelet en bois peint. Cela signifie "théâtre de papier". C'est un outil pédagogique d'une grande richesse, qui favorise l'ouverture vers le langage et la communication et procure aux enfants des moments riches en émotion.

Sous quelle forme se présente cette technique ?
A l'intérieur d'un castelet en bois, je fais défiler des planches illustrées tout en racontant l'histoire. Je crée et illustre moi-même mes propres contes et je façonne des marionnettes que j'intègres à mes contes.
Castelet avec planches illustrées. © Hélène Bazin


Planche illustrée par la conteuse Hélène. © Hélène Bazin

Hélène est souriante avec à la fois un mélange de douceur et de dynamisme.

Quel est votre parcours ? Comment devient-on "conteuse" ?
Je suis éducatrice de jeunes enfants, diplômée des Beaux-Arts. Dans le cadre de mon travail, j'ai beaucoup raconté aux enfants : j'aime donner vie aux différents personnages d'une histoire, en prenant des voix, des accents, des tonalités différentes, selon les caractères de chacun. J'ai eu la chance de participer à des stages de grande qualité sur le thème du conte avec «Enfance et Musique». Par ailleurs, en tant que plasticienne, j'ai toujours dessiné, illustré, modelé...

Quelles attitudes les enfants adoptent-ils lors de la lecture d'un conte ?
Petite anecdote encourageante et très agréable pour moi : Au cours d'une de mes représentations, l'histoire que je racontais était ponctuée d'exclamations de surprise, d'émerveillement, de plaisir, des enfants qui m'écoutaient.

Concrètement comment se déroule une séance avec les enfants ?
Les enfants se posent, deviennent très attentifs et dans le calme l'histoire commence... Ce sont de petits spectacles ambulants et autonomes. Chaque histoire dure environ 15 minutes et est composée d'une douzaine d'illustrations. Chaque séance accueille environ une vingtaine d'enfants. Actuellement 3 contes sont disponibles.

Mais au fait, pourquoi ce nom "Les comptines du pousse-pousse" ?
Je me suis appelée « Les comptines du pousse-pousse » car, il s'agissait autrefois de troubadours japonais, qui poussaient leur vélo de villages en villages avec leur castelet dessus, pour faire des représentations aux villageois.

Les couleurs, les traits, les expressions... © Hélène Bazin

j'adore ses dessins ! © Hélène Bazin

Je pense que c'est une excellente manière d'aborder la lecture, de susciter et de développer l'intérêt et le goût des livres et des histoires chez les enfantsHélène Bazin intervient dans les librairies, les médiathèques, bibliothèques, crèches, jardins d'enfants, écoles maternelles, hôpitaux...

Je passerais des heures à vous parler des nombreuses activités d'Hélène (notamment l'atelier de création de marionnettes...) Afin de poursuivre ce premier échange avec elle, n'hésitez pas à lui adresser un email, elle se fera un plaisir de tout vous expliquer en détail !

mercredi 3 décembre 2014

Agatha Christie, la reine du crime se dévoile...

Je poursuis mes lectures sur la romancière Agatha Christie... Agatha a écrit deux livres de souvenirs. Le premier est paru en 1946 sous le titre "Come, Tell Me How You Live". Il faudra attendre 1978 pour qu'il paraisse en français, sous le nom "Dis-moi comment tu vis". Il sera réédité en 2005 sous le titre "La romancière et l'archéologue" aux Editions Payot & Rivages.

Agatha se moque bien de la chronologie des événements ! Ainsi, cet ouvrage relate ses aventures au Moyen-Orient durant les fouilles menées par son second mari, l'archéologue britannique, Max Mallowan. Donc, à l'époque de la rédaction de ce premier livre consacré à ses mémoires, elle est déjà une auteure reconnue mariée pour la seconde fois...

Personnage secret Agatha livre peu voire rien d'elle-même. On devine une femme de caractère terriblement drôle, pleine d'esprit, d'entrain et d'autodérision. Elle déborde de ses vêtements et considère son embonpoint avec une totale désinvolture. Agatha est douée pour le bonheur. Elle affiche une bonne humeur communicative et un réel optimisme face à toutes les situations.

"... A peine avons-nous éteint les lampes que des hordes de souris - je crois vraiment qu'il y en a des centaines - émergent de leurs trous creusés dans les murs et le sol. Elles se mettent à courir gaiement sous nos lits tous en couinant. Des souris qui vous trottent sur le visage, des souris qui vous tirent les cheveux, des souris, des souris, DES SOURIS ! (page 116)
Une fois la surprise passée de cette première nuit, Agatha adoptera une amie...  "J'ai même éprouvé une certaine tendresse pour une intruse fidèle au rendez-vous baptisée affectueusement Elsie". (Page 116)
Format poche, paru chez Payot, collection Voyageurs


Elle mène une vie de voyages au gré des fouilles de son mari en Syrie, en Iraq... "La romancière et l'archéologue" est une invitation au voyage, à remonter le temps. Heureux temps où le train était mythique... En 1930, alors qu'elle voyageait à bord de l'Orient-Express, pensait-elle déjà, qu'il lui inspirerait quatre ans plus tard, une de ses plus fameuses intrigues ?

"Enfin, après sept heures de chaleur, de monotonie et de paysages désertiques. Palmyre ! Selon moi, tout le charme de Palmyre réside dans cette beauté étrange qui surgit d'une manière féerique en plein désert. C'est un lieu irrésistible, singulier et incroyable, qui porte en lui toute l'invraisemblance théâtrale d'un rêve. Cours, temples, colonnes en ruine...
Je ne sais toujours pas aujourd'hui ce que je pense vraiment de Palmyre. Elle a gardé pour moi l'irréalité de cette première découverte. J'avais mal à la tête et aux yeux, et mon état ne faisait qu'accentuer cette impression d'hallucination fiévreuses ! Ce n'était pas, ce ne pouvait pas être vrai..." (page 52)
Palmyre, la palmeraie et le temple de Bel © Christophe Lurie
Ce n'est pas un récit narcissique. Au contraire, on perçoit toute la difficulté que ressent Agatha Christie à se livrer. Elle emploie le "nous", le "on" mais rarement le "je" afin de pas trop s'impliquer, de rester en retrait même de sa propre vie. Certains pourraient croire qu'il s'agit là d'un calcul. Je pense au contraire que cette attitude est un héritage de son éducation victorienne.

"Une vieille femme s'approche d'Hamoudi ; elle tient par la main un garçon d'une douzaine d'années.
- Le khwaja a-t-il des médicaments ?
- Il y en a quelques-uns. Pourquoi ?
- En donnerait-il à mon fils ?
- De quoi souffre t-il ?
Hamoudi aurait presque pu se passer de poser la question. Nous avons clairement affaire à un déficient mental. Hamoudi hoche la tête tristement mais répond qu'il va demander au khwaja.
... La femme et l'enfant s'approchent de Max. Ce dernier observe l'enfant et se retourne doucement vers sa mère.
- Ton fils est ainsi par la volonté d'Allah, lui dit-il. Je ne peux lui donner aucun médicament".
La femme soupire. Je crois voir rouler une larme le long de sa joue. Puis elle dit, prosaïque :
"Alors, khwaja, me donneras-tu du poison ? Il vaut mieux qu'il meure".
Max répond doucement qu'il ne le peut pas non plus. Elle le dévisage sans comprendre puis secoue la tête furieusement et s'éloigne avec son fils". (page 104)

"Pour nous autres Occidentaux qui attachons la plus grand importance à la vie, il est difficile d'adapter notre psychologie à des échelles de valeurs aussi différentes. Néanmoins, pour un esprit oriental, c'est aussi simple que ça. La mort est inévitable, elle est aussi inéluctable que la naissance ; qu'elle survienne en pleine jeunesse ou à un âge avancé ne dépend que d'Allah. Et cette croyance, cette acceptation abolit ce qui est devenu la malédiction de notre monde actuel : l'angoisse. La liberté ne découle peut-être pas de la misère, mais il existe certainement une liberté liée à l'absence de peur. Et l'oisiveté est un état naturel et béni, le travail, une nécessité contraire à la nature". (Page 143).

Agatha à Changar Bazar - © British Museum

Agatha est intelligente, pudique, réservée, sensible aux autres, ouverte et respectueuse des traditions d'autrui.

"La romancière et l'archéologue" est un petit livre de 300 pages qui ouvre une petite lucarne sur cette femme secrète. Agatha ne dit que ce qu'elle veut ! Je suis piquée au vif et j'ai une furieuse envie d'en savoir plus ! J'entame très vite son autobiographie de presque 1 000 pages. Se montrera t-elle plus prolixe ? Je ne sais pas. Je suis seulement certaine d'une chose : je passerai un délicieux moment en compagnie de la reine du crime.