dimanche 29 septembre 2013

Colum McCann, excellent... comme toujours.

Il faut avoir lu Colum McCann pour être capable de faire la différence entre un vrai écrivain et un auteur baltringue ! McCann compte parmi ces écrivains que l'on achète les yeux fermés. A chaque nouvelle parution, toujours la même question (et crainte) : "ce dernier livre va t-il être (peut-il être) aussi bon que le précédent ?". Ouvrage après ouvrage, je suis sans cesse éblouie par cet écrivain. Assurément classé au top 5 de mes auteurs contemporains étrangers favoris. Toujours dans la constance et la qualité, ne cédant jamais rien à la facilité.

Avec "Transatlantic", paru aux éditions BelfondColum McCann bâtit un pont sur l'Atlantique, entre l'Amérique et l'Irlande, du XIXe siècle à nos jours. Avec une parfaite maîtrise, il mêle l'Histoire et la fiction nous entraînant dans une fresque époustouflante, dont il a le secret.

A Dublin, en 1845, Lily Duggan jeune domestique de dix-sept ans, croise le regard de Frederick Douglass, le Dark Dandy, l'esclave en fuite, le premier à avoir témoigné de l'horreur absolue dans ses Mémoires.

"Certes, les Irlandais étaient pauvres, mais pas asservis. Il était ici pour saper les fondements de l'esclavagisme américain. Parfois une épreuve de garder ses idées en ordre. Douglass avait compris que l'intelligence consiste à embrasser les contradictions. Que si la simplicité est un but en soit, il faut reconnaître la complexité inhérente aux situations. Mais il restait un esclave. Un fugitif...
On lui avait donné la chance de dénoncer ses chaînes. Il n'arrêterait pas tant que les maillons ne seraient pas tous brisés à ses pieds.
Douglas sut alors ce que le destin lui réservait ici : l'occasion d'être libre et captif en même temps. Une sensation que le plus misérable des Irlandais ne comprendrait jamais. Etre asservi de toutes parts, même par l'exigence de sa propre paix."


Ce jour-là, Lily comprend qu'elle doit changer de vie pour échapper à la famine, pour gagner sa liberté, pour s'offrir une chance d'avenir et embarque pour le Nouveau Monde...

"De courtes volutes de fumée parsemaient la campagne. Comment croire que, parmi les plus pauvres, des Irlandais logeaient sous terre ? Il voyait leurs masures, les murs de tourbe encadrés de bouts de bois, le tapis de pelouse déroulé sur le toit. Leurs champs minuscules, les haies innombrables, un enclos de pierres inachevé ça et là. Leurs enfants ressemblaient à de vains souvenirs d'eux-mêmes, des spectres nus jusqu'à la taille, le visage éraflé, la blancheur de leurs pieds. Une carcasse sous la peau, l'os qui tient lieu de vie."

... bouleversant ainsi son destin et celui de ses descendantes, sur quatre générations. On suit, à Dublin encore, cent cinquante ans plus tard, Hannah, son arrière-petite-fille, qui tente de puiser dans le passé de ses ancêtres la force de survivre à la perte de Tomas, son petit-fils assassiné.

Colum McCann mélange avec dextérité la fiction et la réalité, enchevêtrant avec finesse les personnages, lieux et Histoire, donnant ainsi une construction impressionnante de maîtrise.

Parmi, les personnages historiques-romancés, on retrouve George J. Mitchell, fin négociateur de l'Accord du Vendredi-Saint. Cet accord de paix, entériné en 1998, fût capital pour l'Irlande. L'auteur s'appuie beaucoup sur George J. Mitchell pour transmettre sont attachement à son pays natal, exorciser ses déchirures :

"Il a lu quelque part qu'un homme sait d'où il vient lorsqu'il a décidé de l'endroit où on l'enterrait. Il a déjà choisi. l'île des Monts Déserts, la falaise au-dessus de la mer, la courbe de l'horizon et le vert profond, la mousse qui éclabousse la roche escarpée. Tout ce qu'il demande : un carré d'herbe au-dessus d'une crique, une clôture blanche autour, des cailloux pointus pour lui griffer le dos. Semez mon âme dans la terre rouge, laissez-moi reposer heureux devant les pêcheurs qui relèvent leurs nasses, la longue danse de l'écume, la ronde des goélands. Soyez patient, Seigneur. Au moins vingt ans encore. Il reste tant de nouveaux matins".

"Il aurait aimé se débarrasser des hommes, remplir de femmes les salles et les couloirs. le choc, court et cuisant de trois mille deux cents mères. Celles qui, au supermarché, cherchent dans les décombres les jambes de leur mari. Qui lavent encore à la main les draps du fils jamais revenu. Qui, en cas de miracle, mettent un couvert de plus à table. Les élégantes, les furieuses, les malignes, celles qui couvrent leurs cheveux d'un filet, toutes celles que la mort épuise. Le chagrin se lit dans leurs pupilles, un puits sans fin dans une mer de lassitude. Mères, filles, petites-filles, grands-mères ne faisaient pas la guerre, mais leurs os et leur sang en portaient les souffrances."

Le talent de Colum McCann se suffit à lui-même. Nul besoin d'esbroufe, de scénario sensationnel, de rebondissements incroyables, rien de tout cela. Juste la justesse des mots justes. Des phrases courtes, fracassantes pour décrire la douleur de l'Irlande, des Irlandais trop longtemps meurtris, des expatriés vers le Nouveau Monde, de leurs luttes. N'attendez-pas que "Transatlantic" soit édité au format de poche pour le lire. Jetez-vous dessus !


Quelques unes des pépites, de cet auteur, "Ailleurs, en ce pays", "Zoli", "La rivière de l'exil", "Et que le vaste monde poursuive sa course folle" sans oublier deux merveilleux romans prêtés et jamais revus (!) : "Le chant du coyote" et "Les saisons de la nuit".
Vous serez séduit, par cet auteur. N'hésitez pas à piocher au hasard !

Pour suivre Colum McCann, en version papier ou numérique, sur son site officiel, c'est ici.

1 commentaire:

  1. Je suis très pressée de le lire, McCann est un très grand auteur, j'ai aimé tous ses livres, un peu moins Zoli peut-être, mais tout de même il a une grande puissance d'écriture, enfin c'est mon modeste avis !

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