lundi 25 février 2013

Gilles Zerlini : "l'autre" écrivain Corse

Chez les corses je demande le très médiatique (maison d'édition qu'il faut pour obtenir le prix qu'il faut) Jérôme Ferrari. Evidemment. Après avoir lu ce billet j'espère que vous demanderez, non pas à votre grand-mère qui joue aux cartes avec vous, mais à votre libraire préféré le livre de Gilles Zerlini, l'auteur de "Mauvaises Nouvelles", paru aux éditions Materia Scrittaen 2012.

Couverture du livre de Gilles Zerlini
"Mauvaises Nouvelles" est un recueil de treize nouvelles écrites dans un style impeccable. Diverses époques, divers lieux (même si la Corse revient souvent) et combats.

Le point commun de ces courts récits est la férocité, la dureté des mots et des personnages. Les textes sont poétiques, les chutes raides et assassines.

Parmi mes préférées :
 "Star spangled banner" évoque la déroute d'un soldat en bout de course :  ... "Et tu ne vis jamais ton crâne éclaté par une balle de gros calibre ni les mots des journaux du lendemain. Tu ne sus jamais non plus que tes frères d'armes te mirent sur le dos, après la disparition toutes les actions que tu avais effectuées et bien d'autres où tu n'étais pas. Considéré comme mort tu permettais ainsi d'innocenter d'autres soldats de l'ombre en attente de jugement ou en cavale. Mi-héros mi-doulos. C'était, sans que tu le saches, ton dernier acte de militant, ta dernière défaite".


"Caveau", la mise à mort effroyable d'une famille. La fin d'une époque... "Aux Martins le temps coule comme ça depuis des milliers d'années, il y a les bêtes, les plantes et les arbres, il y a les saisons, la montée en estive et la descente en plaine, les naissances et les morts de tout cela, des herbes et des arbres, des mois et des années, et les pierres qui se fendent et qui fondent en sable, il y a le ciel gigantesque toujours là, et la route des étoiles dans la nuit et la mer là-bas au bout de l'horizon, et nous au milieu ne sachant trop que faire".

"Trois soeurs et un frère" ou des destins opposés et soudés à la fois . "Et ainsi on vit par cette claire journée de fin d'été, en tête de cortège d'une foule noire vêtue, marchant dans l'argent du soleil : un militant communiste, une bonne soeur et une pute à la retraite accompagner leur soeur à sa dernière demeure".

Les trois dernières nouvelles, "Dégueuler", "Vendre" et "Se taire" évoquent le (non)futur de la Corse.

Extrait de "Vendre" (pages 107 et 208) ...

"Arrêtez de faire semblant. Puisqu'en fait tout est à vendre.
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Vendez les jardins, les potager les vergers. Vendez les terrains où les anciens enlevaient pierre à pierre, là où ils charriaient de la terre pour combler les planches pauvres.
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Coupez les chênes vieux, les plus gros les plus larges ; oh, après tout coupez tout, faites-en du bois de chauffage écologiquement compatible, pour réduire votre empreinte de CO², pour faire des barbecues entre amis.
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Détruisez les tombes, les caveaux, les sépultures oubliées, les mausolées, faites des réductions de corps, puis jetez les os à la mer ou donnez les aux chiens. Les morts aujourd'hui s'incinèrent, la cendre conservée dans une urne de marbre, dispersée au vent, ou oubliée dans un cendrier du salon. Le terrain gagné rapportera toujours plus que ces hommages archaïques et inutiles.
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Revendez les marbres à un artisan, les plaques mortuaires à un brocanteur, faites-en du dallage à moindre frais.
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Sciez à la base les vieilles croix de fer, elles serviront aux cimetières pour chiens dans des pays riches.
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Démontez les chapelles en pierres, numérotez chaque élément, et exportez-les dans les nations sans histoire accompagnés du manuel de reconstruction. Eteignez à jamais les lumières des phares.
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Renversez et enterrez les pierres dressées les dolmens, les alignements. Tuez les bêtes des eaux, tuez celles du ciel et celles de la terre, bestiaux reptiles et bêtes sauvages, faites-en du pâté et mettez-les en boite.
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Gommez les étoiles du ciel, ne distinguez plus le jour de la nuit et laissez vos boutiques ouvertes sans interruption.
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Offrez-leur votre amitié avant qu'ils ne partent, c'est toujours quelque choses de plus. Ne vendez pas votre âme, vous n'en avez plus, contentez-vous de manger leur merde".

Ne cherchez pas "Mauvaises Nouvelles" (12 €) sur les tables des supermarchés encore moins en tête des gondoles, pas non plus en home d'Amazon ou des sites communautaires de lecture, pas non plus de format numérique. Non, vous ne le trouverez pas. Gilles Zerlini se cache, se réserve, se livre uniquement aux initiés, se refile sous le manteau !

J'espère vous avoir donné envie d'aller le débusquer là où il se cache : chez votre libraire indépendant préféré. Vous ne le regretterez pas !

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